Plus de deux décennies après les faits, la justice péruvienne a rendu un verdict historique. Vendredi, un tribunal de Lima a condamné sept militaires à des peines allant de 15 à 20 ans de prison pour leur implication dans l’assassinat de 16 civils lors de deux massacres perpétrés au début des années 1990, sous la présidence autoritaire d’Alberto Fujimori. Des crimes qui s’inscrivaient dans le cadre de la guerre sans merci menée par le régime contre les guérillas d’extrême-gauche.
Les massacres de Pativilca et La Cantuta
Les accusés, tous membres d’un même détachement militaire officieux connu sous le nom de groupe Colina, étaient jugés pour deux tueries emblématiques des années de plomb au Pérou. La première, connue comme le massacre de Pativilca, avait coûté la vie en janvier 1992 à six paysans soupçonnés de liens avec la guérilla maoïste du Sentier lumineux. Exécutés sommairement dans un champ.
Quelques mois plus tard, en juillet, c’est à l’université de La Cantuta, dans la capitale Lima, que le groupe Colina a de nouveau sévi. Neuf étudiants et un professeur y ont été enlevés, torturés puis assassinés. Leurs corps ont été retrouvés un an et demi plus tard, enterrés clandestinement. Des innocents, a conclu la justice en 2009, qui n’appartenaient à aucun groupe terroriste.
L’ombre de l’ancien président Fujimori
Alberto Fujimori, l’ancien homme fort du Pérou qui a dirigé le pays d’une main de fer de 1990 à 2000, était lui aussi poursuivi dans ce procès ouvert en décembre dernier. Mais il est décédé à 86 ans en septembre, des suites d’un cancer, échappant à la justice. L’ex-président avait déjà été condamné en 2009 à 25 ans de prison pour le massacre de La Cantuta, mais aussi pour celui du quartier de Barrios Altos à Lima en 1991, où 15 personnes dont un enfant avaient été tuées.
Fujimori avait été gracié fin 2017 par le président de l’époque, Pedro Pablo Kuczynski, officiellement pour raisons de santé. Une mesure qui avait suscité l’indignation au Pérou. La justice avait finalement annulé cette grâce en 2018 et l’ancien dirigeant était retourné en prison, avant d’être libéré en décembre 2023 après seize années derrière les barreaux.
Un lourd bilan humain
Le procès qui s’est achevé vendredi s’inscrit dans le cadre des multiples procédures judiciaires ouvertes depuis la fin des années 2000 pour tenter de juger les crimes commis par les forces de l’ordre dans le conflit armé qui a opposé l’État aux groupes rebelles du Sentier lumineux et du MRTA (Mouvement révolutionnaire Túpac Amaru) dans les deux dernières décennies du XXe siècle.
Un conflit extrêmement meurtrier qui a fait, selon les estimations de la Commission vérité et réconciliation, quelque 69 000 morts et 21 000 disparus, essentiellement parmi les populations civiles prises entre deux feux. Un bilan funeste, un traumatisme dont le Pérou peine encore à se relever, comme l’illustrent les lacunes criantes du processus de justice transitionnelle, près de 30 ans après la fin des hostilités.
Des peines jugées insuffisantes
Si le verdict de vendredi marque une avancée importante, les peines prononcées à l’encontre des sept militaires, de 15 à 20 ans de détention, ont suscité la déception des proches des victimes. Le parquet avait en effet requis 25 ans de prison pour ces crimes considérés comme imprescriptibles. La plupart des condamnés purgent déjà de longues peines pour d’autres crimes similaires.
Selon des sources proches du dossier, la possibilité de faire appel pour tenter d’obtenir des sanctions plus sévères serait à l’étude. Mais pour les familles en quête de vérité et de justice, ce jugement ressemble malgré tout à une victoire dans leur long combat contre l’impunité des responsables et des exécutants de la sale guerre des années Fujimori.