Le monde diplomatique est sous le choc après l’annonce surprise du Tchad et du Sénégal de mettre fin à leurs accords de coopération militaire de longue date avec la France. Cette décision radicale, qui intervient dans un contexte de tensions croissantes entre Paris et ses partenaires africains, soulève de nombreuses questions quant à l’avenir de la présence française sur le continent et aux conséquences pour la stabilité régionale.
Un « coup de sang » qui ébranle les relations franco-africaines
C’est par un communiqué laconique publié en pleine nuit sur Facebook que les autorités tchadiennes ont annoncé leur volonté de « mettre fin à l’accord de coopération en matière de défense » qui les liait à la France depuis 1966. Une rupture brutale et inattendue, survenue quelques heures seulement après une visite du ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, qui semblait pourtant s’être déroulée sans accroc.
Du côté du Sénégal, même son de cloche. Dakar a également fait part de son intention de demander le départ des soldats français stationnés sur son sol, infligeant un camouflet diplomatique de taille à l’ancienne puissance coloniale. Selon une source proche du dossier, cette décision serait motivée par la volonté de « marquer la pleine souveraineté » du pays et de « tourner la page de la Françafrique ».
Paris pris de court
Ces revirements soudains ont pris Paris totalement au dépourvu. L’Élysée comme le gouvernement ne cachaient pas leur intention de maintenir une présence militaire significative dans ces deux pays clés, considérés comme des piliers de la stratégie française au Sahel. « C’est un véritable coup de sang, un séisme géopolitique », confie un diplomate sous couvert d’anonymat.
Les raisons précises qui ont poussé N’Djamena et Dakar à franchir le Rubicon restent pour l’heure mystérieuses. Certains y voient la main de puissances rivales, promptes à exploiter le ressentiment anti-français qui monte sur le continent. D’autres évoquent la lassitude des opinions publiques face à ce qui est perçu comme une ingérence dans les affaires intérieures. « Les peuples africains aspirent à prendre leur destin en main, sans tutelle ni paternalisme », analyse un politologue spécialiste de la région.
Vers un retrait total des troupes françaises ?
Quoi qu’il en soit, cette crise diplomatique majeure place la France dans une position délicate. Déjà fragilisée par des revers militaires et des controverses à répétition, la présence de l’armée française en Afrique n’a jamais semblé aussi incertaine. Faut-il s’attendre à un retrait total des troupes, comme ce fut le cas récemment au Mali et en Centrafrique ? Paris semble pour l’instant écarter cette option, espérant encore sauver ce qui peut l’être de ces partenariats stratégiques.
« Il est temps de repenser notre relation avec l’Afrique sur des bases plus équilibrées et respectueuses. »
– Un diplomate français
Mais dans les chancelleries occidentales, beaucoup doutent de la possibilité d’un statu quo. « Il est temps de repenser notre relation avec l’Afrique sur des bases plus équilibrées et respectueuses. L’époque où nous pouvions dicter notre agenda sécuritaire est révolue », confesse un diplomate européen de haut rang.
Quelles conséquences pour la stabilité régionale ?
Au-delà des implications politiques, c’est bien la question sécuritaire qui inquiète les observateurs. Le Tchad comme le Sénégal sont confrontés à de multiples défis – terrorisme, criminalité, trafics en tous genres – que la coopération militaire avec la France contribuait à contenir. Un retrait précipité des forces françaises pourrait dès lors déstabiliser ces pays et, par ricochet, l’ensemble de la région sahélienne.
« Sans le soutien de l’armée française, nous serons plus vulnérables face aux groupes djihadistes », s’alarme un officier tchadien. Un constat partagé par de nombreux experts, qui craignent une résurgence des foyers insurrectionnels et une extension des zones grises propices aux activités illicites.
Un avenir incertain
Face à ces vents contraires, Paris tente de garder la main en proposant de nouvelles formes de partenariats, axés sur la formation et le renseignement plutôt que sur l’engagement de troupes au sol. Mais il n’est pas certain que cela suffise à endiguer le ressentiment anti-français qui gagne du terrain.
À N’Djamena comme à Dakar, les prochaines semaines s’annoncent décisives. Les autorités devront clarifier leurs intentions et préciser le calendrier et les modalités des retraits annoncés. De difficiles négociations en perspective, sur fond de rapports de force bouleversés et d’incertitudes sécuritaires.
Une chose est sûre : la remise en cause spectaculaire des accords de défense par le Tchad et le Sénégal marque un tournant dans les relations entre la France et l’Afrique. Le temps de la « Françafrique » semble bel et bien révolu. Place à une nouvelle ère, dont les contours restent à définir mais qui devra nécessairement faire plus de place aux aspirations des peuples africains à la souveraineté et à l’émancipation.