Dans un quartier populaire au sud de San Salvador, l’ombre des gangs plane encore, malgré les efforts acharnés du gouvernement pour rétablir l’ordre. Autrefois, sortir de chez soi après le crépuscule était un pari risqué, et les habitants vivaient sous la menace constante des Mara Salvatrucha (MS-13) et de leur rival, le Barrio 18. Aujourd’hui, les rues semblent plus calmes, mais une question demeure : la paix est-elle vraiment revenue, ou n’est-ce qu’une accalmie temporaire ?
Une Guerre Sans Merci Contre les Gangs
Depuis mars 2022, le président Nayib Bukele a lancé une offensive sans précédent contre les gangs qui ont terrorisé le Salvador pendant des décennies. Cette guerre anti-gangs, marquée par un état d’urgence, a transformé des quartiers comme le 10 de Octubre, dans la ville de San Marcos. Là où régnaient autrefois la peur et la violence, des scènes de vie quotidienne émergent : des stands de légumes animent les rues, des livreurs à moto sillonnent les routes, et des fresques colorées remplacent les graffitis menaçants des gangs.
Cette transformation est spectaculaire, mais elle cache une réalité plus complexe. Les habitants, bien que soulagés, restent sur leurs gardes. Les gangs, autrefois omniprésents, semblent s’être volatilisés, mais beaucoup murmurent qu’ils sont encore là, tapis dans l’ombre, attendant une opportunité pour reprendre le contrôle.
Un Passé Marqué par la Violence
Pour comprendre l’ampleur du changement, il faut plonger dans le passé sombre de quartiers comme le 10 de Octubre. Pendant des années, ce lieu était un bastion de la Mara Salvatrucha, dirigée par des figures redoutables comme Élmer Canales Rivera, surnommé le Crook d’Hollywood. Les habitants vivaient dans un climat de terreur, où la moindre désobéissance pouvait coûter la vie.
« Beaucoup sont entrés ici et n’en sont jamais ressortis. J’ai vu des morts allongés là, abattus ou poignardés. »
Une résidente de 65 ans, témoin de décennies de violence.
Les gangs imposaient leurs lois : extorsion, recruitment forcé, et exécutions sommaires. Les familles vivaient dans la peur constante de perdre un proche. Une adolescente de 12 ans a été assassinée pour avoir refusé de rejoindre le gang, sa mère tuée pour avoir tenté de la protéger, et d’autres ont péri pour avoir résisté à l’extorsion. Ces récits, bien que douloureux, sont monnaie courante dans les mémoires des habitants.
La Transformation du Quartier
Avec l’instauration de l’état d’urgence, le quartier a changé de visage. Les graffitis menaçants ont été effacés, remplacés par des fresques aux couleurs vives : papillons, fleurs, et même un immense « N » en l’honneur de Nayib Bukele et de son parti, Nuevas Ideas. Des patrouilles militaires et policières assurent désormais une présence constante, et les habitants osent à nouveau sortir de chez eux.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes :
- 87 000 arrestations sans mandat depuis 2022.
- Une chute drastique du taux d’homicides.
- 85 % du territoire autrefois contrôlé par les gangs.
Ces mesures ont permis une baisse spectaculaire de la violence, faisant du Salvador, selon Bukele, le pays le plus sûr au monde. Pourtant, ce tableau idyllique est loin d’être unanimement accepté.
Les Ombres de l’État d’Urgence
Si la guerre contre les gangs a redonné espoir à beaucoup, elle suscite aussi de vives critiques. Les organisations de défense des droits humains, comme Amnesty International, dénoncent des abus sous le régime d’exception. Arrestations arbitraires, actes de torture, et décès de prisonniers sont pointés du doigt. Environ 400 détenus seraient morts en prison, et des milliers d’innocents auraient été incarcérés à tort.
« Nous allons débusquer jusqu’au dernier terroriste caché. »
Nayib Bukele, promettant une lutte sans relâche contre les gangs.
Pour beaucoup d’habitants, ces accusations sont un sujet tabou. Par peur ou par reconnaissance envers Bukele, peu osent critiquer ouvertement les méthodes du gouvernement. Pourtant, la méfiance persiste : les gangs sont peut-être affaiblis, mais ils n’ont pas disparu.
Une Paix Fragile
Dans les rues du 10 de Octubre, la vie semble reprendre ses droits, mais les habitants restent prudents. Carlos Sanchez, un laveur de voitures de 48 ans, résume l’état d’esprit général : « Il ne faut pas baisser la garde. » Les gangs, bien que moins visibles, seraient encore présents, cachés dans les collines environnantes.
Les récits de violence continuent de hanter les mémoires. Des familles ont été expulsées de leurs maisons sous la menace d’armes, des enfants recrutés comme guetteurs, et des jeunes assassinés pour avoir refusé de collaborer. Ces souvenirs rappellent que la paix actuelle est précaire.
Impact des gangs | Conséquences |
---|---|
Extorsion | Pression financière sur les habitants, assassinats en cas de refus. |
Recrutement forcé | Enfants et jeunes contraints de rejoindre les gangs. |
Violence | Meurtres, disparitions, cimetières clandestins. |
Un Équilibre Précaire
Le Salvador, marqué par une guerre civile dans les années 1980, reste un pays où la violence est profondément enracinée. Les gangs, bien qu’affaiblis, conservent une capacité à se réorganiser. José Miguel Cruz, spécialiste des maras, souligne que les gangs, bien que contenus, pourraient se réactiver si la vigilance faiblit.
Pour les habitants, l’avenir reste incertain. Certains, comme Antonia Alfaro, 67 ans, vivent dans l’angoisse de voir leur maison à nouveau menacée. D’autres, comme les filles de Carlos Sanchez, ont échappé de justesse à la mort. La migration vers les États-Unis reste une option pour beaucoup, fuyant un pays où la sécurité reste fragile.
Quel Avenir pour le Salvador ?
La popularité de Nayib Bukele, réélu en 2024, repose sur sa capacité à réduire la violence. Pourtant, son approche autoritaire divise. Si les habitants du 10 de Octubre goûtent à une paix relative, ils savent que les gangs n’ont pas disparu. La question est de savoir si cette accalmie durera, ou si les collines environnantes abriteront bientôt une nouvelle vague de violence.
En attendant, les habitants continuent de vivre, partagés entre espoir et méfiance. Les fresques colorées et les patrouilles militaires ne suffisent pas à effacer les cicatrices du passé. Pour beaucoup, la paix véritable reste un rêve fragile, suspendu à la vigilance constante d’un pays en reconstruction.