Société

Occupation de Saint-Nizier : Révolte des Prostituées en 1975

En 1975, 150 prostituées occupent une église à Lyon pour crier leur révolte contre la répression. Quel impact cet événement a-t-il eu sur la société française ? Découvrez leur combat...

Imaginez une église au cœur de Lyon, ses vitraux baignés de lumière, soudain envahie par 150 femmes déterminées à faire entendre leur voix. En juin 1975, ces prostituées, mères, filles, citoyennes, prennent possession de l’église Saint-Nizier pour dénoncer une répression policière qui les accable. Leur cri, porté par une banderole poignante – « Nos enfants ne veulent pas de leur mère en prison » – résonne encore aujourd’hui, 50 ans plus tard, comme un jalon dans l’histoire des luttes sociales en France. Cet événement, aussi audacieux qu’inattendu, a secoué les consciences et ouvert un débat brûlant sur la place des travailleuses du sexe dans la société.

Un Cri Contre l’Injustice

En 1975, la situation des prostituées à Lyon est intenable. Amendes répétées, arrestations arbitraires, rappels fiscaux écrasants : les travailleuses du sexe sont prises dans un étau répressif qui menace leur survie et celle de leurs familles. À cela s’ajoutent des drames plus sombres : plusieurs meurtres de prostituées restent irrésolus, alimentant un sentiment d’abandon face à une justice qui semble les ignorer. C’est dans ce contexte qu’émerge une idée radicale : occuper un lieu symbolique pour faire entendre leur colère.

Le choix de l’église Saint-Nizier n’est pas anodin. Lieu de refuge, elle incarne un espace où la police n’oserait pas intervenir brutalement, offrant une tribune pour ces femmes marginalisées. Avec l’appui du curé Antonin Béal, qui ouvre les portes de l’édifice, et de figures comme le père Christian Delorme, alors jeune étudiant engagé, les prostituées s’installent pour une semaine de résistance pacifique.

Une Occupation qui Défie les Normes

L’occupation de Saint-Nizier, débutée le 2 juin 1975, est un coup d’éclat. Les prostituées, souvent des mères célibataires, orchestrent une action minutieusement préparée. Pour brouiller les pistes, elles annoncent un rassemblement devant la basilique Saint-Bonaventure, mais convergent en réalité vers Saint-Nizier, à quelques centaines de mètres. Ce subterfuge permet de prendre les autorités par surprise et d’attirer l’attention des médias.

« Il fallait un lieu refuge, pas un lieu où la police viendrait nous chasser », se souvient Christian Delorme, témoin clé de l’événement.

L’église devient alors un espace de parole. Les femmes, soutenues par des militants et des journalistes, rédigent leurs revendications : arrêt des amendes abusives, protection contre les violences, reconnaissance de leur dignité. Leur action, bien que controversée, suscite un élan de solidarité. Des commerçants offrent de la nourriture, des passants déposent des fleurs, et des féministes, jusqu’alors peu concernées par la prostitution, rejoignent le mouvement.

Une Résonance Nationale et Internationale

L’occupation ne passe pas inaperçue. Les médias affluent, et des journalistes du monde entier se pressent devant Saint-Nizier. Ulla, charismatique porte-parole du collectif, et Barbara, figure rassurante, prennent la parole avec assurance, donnant un visage humain à leur lutte. Leur message transcende les frontières de Lyon : dans une dizaine de villes françaises, des prostituées se mettent en grève ou occupent elles aussi des églises, amplifiant l’écho du mouvement.

Ce soulèvement marque un tournant. Pour la première fois, les travailleuses du sexe s’expriment directement, sans intermédiaires. Cette prise de parole, comme le souligne Cybèle Lespérance, coautrice d’une publication récente sur l’événement, permet de briser les stéréotypes. La société découvre que ces femmes sont avant tout des mères, des femmes confrontées à des réalités complexes, loin des caricatures.

Les revendications des prostituées en 1975 :

  • Fin des amendes arbitraires et des détentions abusives.
  • Enquêtes sérieuses sur les meurtres de prostituées.
  • Reconnaissance de leur dignité et protection contre les violences.
  • Arrêt des rappels fiscaux écrasants.

Une Société Divisée Face à l’Événement

À Lyon, l’occupation divise. Certains habitants saluent le courage des prostituées, sensibles à leur détresse. D’autres, choqués par l’irruption de ces femmes dans un lieu sacré, expriment leur hostilité. « C’était très agité, il y avait beaucoup de monde », se rappelle Christiane Ray, militante féministe de l’époque, qui évoque aussi les remarques malveillantes de certains passants. Pourtant, l’opinion publique commence à évoluer : les prostituées ne sont plus seulement des figures marginales, mais des femmes avec des histoires, des familles, des combats.

Les mouvements féministes, jusque-là peu concernés par la question de la prostitution, s’impliquent davantage. Pour beaucoup, cet événement révèle une facette méconnue de la condition féminine, marquée par la précarité et la stigmatisation. Cette prise de conscience, bien que timide, pose les bases d’un débat plus large sur les droits des femmes.

Une Fin Brutale et ses Conséquences

Le 10 juin 1975, à l’aube, l’occupation prend fin dans la violence. Une centaine de policiers, casqués et accompagnés de chiens, investissent l’église sans l’accord des autorités religieuses. Les femmes sont évacuées de force ; certaines, comme Barbara, sont brutalisées, tandis qu’Ulla est transportée à l’hôpital. « Je tremblais », confie Christian Delorme, marqué par la brutalité de l’intervention.

« Ça a été très violent, parce qu’on ne s’y attendait pas », raconte Christian Delorme.

Si l’évacuation met un terme à l’occupation, elle ne réduit pas l’impact de l’événement. Un rapport sur la prostitution, commandé par l’État, est rédigé dans la foulée, mais rapidement enterré. À Lyon, certaines prostituées abandonnent le trottoir, tandis que d’autres poursuivent leur activité, souvent dans des conditions inchangées. Cinquante ans plus tard, les protagonistes de cette révolte sont pour la plupart décédées, mais leur héritage perdure.

Un Héritage Toujours Vivant

Le 2 juin est devenu la Journée internationale des travailleurs du sexe, un hommage à l’audace de ces femmes qui, en 1975, ont osé défier l’ordre établi. Pourtant, comme le note Cybèle Lespérance, le bilan reste mitigé. Les victoires concrètes sont rares : la répression policière et la stigmatisation persistent, et les conditions des travailleuses du sexe n’ont que marginalement évolué. Cependant, l’occupation de Saint-Nizier a marqué un tournant en rendant visible une réalité trop souvent ignorée.

Les commémorations, organisées à Lyon depuis le début juin 2025, témoignent de l’importance de cet événement. Elles rappellent que la lutte pour la dignité et la justice sociale reste d’actualité. Pour beaucoup, l’occupation de Saint-Nizier incarne un symbole de résistance face à l’oppression, un rappel que même les voix marginalisées peuvent faire trembler les murs d’une société.

Date Événement
2 juin 1975 Occupation de l’église Saint-Nizier par 150 prostituées.
10 juin 1975 Évacuation violente par la police.
Juin 2025 Commémorations du 50e anniversaire à Lyon.

Pourquoi Cet Événement Reste Pertinent

Cinquante ans après, la révolte de Saint-Nizier continue d’interroger. La question des droits des travailleuses du sexe reste un sujet brûlant, divisant les féministes, les politiques et l’opinion publique. Si certains militent pour la légalisation et la régulation du travail sexuel, d’autres prônent son abolition, voyant dans la prostitution une forme d’exploitation intrinsèque. Ce débat, loin d’être résolu, trouve ses racines dans l’audace de ces femmes qui, en 1975, ont osé prendre la parole.

L’occupation a également mis en lumière la précarité des mères célibataires, un enjeu toujours d’actualité. Nombre de ces femmes se sont tournées vers la prostitution par nécessité économique, un choix dicté par l’absence d’alternatives. Aujourd’hui, les défis liés à la précarité, à l’accès à l’emploi et à la protection sociale restent centraux dans les discussions sur le travail sexuel.

Un Symbole de Résistance

L’occupation de Saint-Nizier n’a pas seulement été un acte de désobéissance civile ; elle a été une affirmation de dignité. Ces femmes, souvent réduites à des stéréotypes, ont prouvé qu’elles pouvaient s’organiser, s’exprimer et mobiliser. Leur combat, bien que n’ayant pas abouti à des réformes majeures, a ouvert la voie à une reconnaissance progressive des droits des travailleuses du sexe.

En 2025, alors que Lyon célèbre le 50e anniversaire de cet événement, il est essentiel de se souvenir de ces femmes. Leur courage continue d’inspirer celles et ceux qui luttent pour la justice sociale, la fin de la stigmatisation et l’égalité des droits. Saint-Nizier reste un symbole, un rappel que même dans les moments les plus sombres, la solidarité peut faire naître l’espoir.

« La prostitution est devenue un sujet de société, et non plus une moquerie. » – Cybèle Lespérance

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