Alors que le paysage politique français vient de connaître un séisme avec la dissolution surprise de l’Assemblée nationale et la poussée du Rassemblement national aux élections européennes, des voix s’élèvent au sein du monde économique pour sonner l’alerte. De manière inhabituelle, des dirigeants d’assurances mutualistes ont choisi de prendre position publiquement contre l’extrême droite, au nom des valeurs humanistes qui fondent leur modèle.
L’appel à la vigilance d’Adrien Couret, DG d’Aéma
Dès l’annonce de la dissolution dimanche soir, Adrien Couret, directeur général d’Aéma (qui chapeaute entre autres la Macif), s’est fendu d’un message sans équivoque sur son profil LinkedIn : « Même derrière un physique avenant et une jolie cravate, l’extrême droite reste l’extrême droite », a-t-il écrit, photo du chef de file du RN Jordan Bardella à l’appui.
Un avertissement qu’il a assorti d’un véritable appel à la mobilisation : « Il est temps que notre classe politique se réveille et regarde en face les raisons du désaveu. Il est temps que la société civile s’arme de vigilance ». Car la dissolution, qui intervient juste après la nette victoire du RN aux européennes, place ce dernier en position de force pour les législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet.
Un modèle mutualiste ancré dans des valeurs humanistes
Cette prise de parole tranche avec la réserve habituelle du patronat sur les sujets politiques. Mais elle s’explique par l’ADN même du modèle mutualiste, qui se veut porteur de valeurs de solidarité, d’entraide et d’inclusion. Des principes perçus comme incompatibles avec la ligne du Rassemblement national.
Nous sommes un mouvement social au service de l’intérêt général, attaché à la démocratie, au progrès social et à la non-discrimination.
– Déclaration de la Mutualité Française
Les mutuelles, créées au 19e siècle par des ouvriers soucieux de s’entraider, revendiquent cet ancrage historique dans des combats progressistes. Un héritage qui rend le succès de l’extrême droite d’autant plus inquiétant à leurs yeux.
Des entreprises de l’économie sociale engagées
Plus largement, ce sont les entreprises de l’économie sociale et solidaire (ESS) dans leur ensemble qui se sentent interpellées par la poussée du RN. Représentant des dizaines de milliers d’emplois en France, ce secteur qui met l’humain au cœur de son projet se veut un rempart face à la “société du chacun pour soi”.
Dès 2017, le Conseil des entreprises et groupements de l’économie sociale (Ceges) appelait ainsi dans une tribune à « défendre et promouvoir (leurs) principes et actions, particulièrement attackés par le Front national ». Un engagement réaffirmé à chaque échéance électorale depuis.
Un patronat globalement silencieux
En dehors de l’ESS toutefois, rares sont les voix patronales à s’élever ouvertement contre le Rassemblement national. La plupart des chefs d’entreprise évitent de se mouiller, considérant que leur rôle n’est pas de donner des consignes de vote.
- Un silence parfois justifié aussi par la peur de heurter une partie de leur clientèle ou de leurs salariés.
- Certains en appellent même à dépasser le “clivage droite-gauche” pour se concentrer sur l’essentiel : la compétitivité des entreprises.
Mais pour les mutualistes, cette neutralité n’est plus de mise quand les fondements du pacte social sont en jeu. Leur engagement vise à rappeler l’importance des valeurs collectives et solidaires dont l’extrême droite est la négation.
La dissolution cristallise les oppositions
C’est la perspective d’une poussée sans précédent du RN aux législatives, après le coup de tonnerre de la dissolution, qui a fait sortir du bois les dirigeants mutualistes. Face au risque de voir l’extrême droite accéder aux plus hautes responsabilités, ils estiment de leur devoir de prendre leurs responsabilités.
Nous ne pouvons pas être spectateurs face à cette fragilisation de notre démocratie. Il est de notre responsabilité d’alerter sur les risques et les conséquences d’un tel scénario.
– Patrick Jacquot, président de la MGEN
Au-delà de leur modèle d’entreprise, c’est la cohésion nationale qui est en jeu à leurs yeux. Un combat qui nécessite une mobilisation large de la société civile autour des valeurs républicaines de liberté, d’égalité et de fraternité.
Faire barrage à la haine et au rejet de l’autre
Car derrière les atours policés de ses nouveaux leaders, le Rassemblement national reste porteur selon eux d’un projet de division et d’exclusion. Une idéologie dangereuse qui joue sur les peurs et les frustrations pour opposer les Français entre eux.
- Un discours de rejet des immigrés, des musulmans, des élites, de l’Europe…
- Une vision identitaire et sécuritaire de la société aux antipodes des valeurs humanistes.
- Des propositions économiques et sociales irréalistes et populistes (retraite à 60 ans, augmentation des petits salaires…).
Alors que le pays traverse une crise profonde, les mutualistes en appellent à l’union et à la solidarité plutôt qu’au repli sur soi. Un message d’espoir et de rassemblement qui tranche avec les sirènes de la peur et de la division.
Un engagement qui va au-delà des mots
Mais leur combat ne se limite pas à des déclarations d’intention. Sur le terrain, les mutuelles s’engagent au quotidien pour faire vivre leurs valeurs et tisser du lien social :
- Actions de prévention santé dans les quartiers populaires.
- Développement de services de soins et d’accompagnement mutualistes accessibles à tous.
- Soutien aux associations et initiatives locales œuvrant pour l’inclusion.
- Programmes d’éducation et de sensibilisation à la citoyenneté…
Autant d’actions concrètes pour promouvoir le « vivre-ensemble » et la cohésion nationale face aux tentations du rejet et du repli identitaire. Un engagement de terrain qui vient nourrir et crédibiliser leur prise de parole publique.
La nécessaire prise de conscience collective
Au-delà de leur secteur, les mutualistes espèrent que leur appel trouvera un écho dans l’ensemble de la société civile. Syndicats, associations, ONG, intellectuels, citoyens… Tous ont un rôle à jouer pour défendre le modèle républicain et faire barrage à l’extrémisme.
Car c’est bien d’un sursaut collectif dont la France a besoin face à cette nouvelle poussée inquiétante de l’extrême droite. Un combat culturel et politique au long cours, pour réaffirmer la force et la modernité des valeurs humanistes. La classe politique est sommée elle aussi de se ressaisir et d’apporter des réponses crédibles aux fractures qui minent le pays. Bref, de faire de la politique autrement pour réconcilier les Français avec la démocratie. Un immense défi que les mutualistes entendent bien relever, à leur échelle et avec leurs armes. Non par opportunisme ou calculation politique, mais par fidélité à leur ADN solidaire et progressiste. Une preuve de plus que l’économie peut être au service du bien commun et du progrès social.