Alors que les combats font rage dans le nord-ouest de la Syrie, la Turquie tire la sonnette d’alarme. Vendredi, Ankara a appelé à mettre un terme aux attaques visant la ville d’Idleb et sa région, dernier bastion encore aux mains des rebelles et groupes jihadistes dans le pays. Une escalade que redoute le voisin turc, qui craint de voir la situation lui échapper à ses frontières.
Depuis mercredi, les affrontements ont pris une tournure particulièrement violente. Selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), le groupe jihadiste Hayat Tahrir al-Sham (HTS) et ses alliés, dont certaines factions proches d’Ankara, ont réussi à s’emparer de plusieurs secteurs dans la province d’Alep, allant jusqu’à pénétrer dans la deuxième ville de Syrie. Une percée fulgurante, qui a pris de court le régime de Bachar al-Assad et ses soutiens russes et iraniens.
La Turquie redoute une déstabilisation à ses portes
Face à cette brusque détérioration, la diplomatie turque est montée au créneau. « Il est de la plus haute importance pour la Turquie qu’une nouvelle phase d’instabilité plus grande encore soit évitée et que les civils ne soient pas touchés », a martelé un porte-parole du ministère des Affaires étrangères. Ankara, qui accueille déjà près de 3,7 millions de réfugiés syriens sur son sol, redoute qu’une nouvelle vague ne vienne grossir ces rangs.
Déjà en 2020, une offensive du régime syrien avait provoqué le déplacement de près d’un million de personnes vers la frontière turque. Un scénario catastrophe que refuse de revivre la Turquie, qui n’a eu de cesse de réclamer la mise en place d’un cessez-le-feu durable à Idleb. Mais les appels d’Ankara sont jusqu’ici restés lettre morte, le régime syrien et Moscou privilégiant l’option militaire pour reconquérir ce territoire stratégique.
Un test pour les relations turco-russes
Au-delà de l’impact humanitaire, cette nouvelle flambée de violence met aussi à l’épreuve les relations entre la Turquie et la Russie. Malgré leur soutien à des camps opposés en Syrie, Ankara et Moscou étaient parvenus ces dernières années à une forme d’entente, basée notamment sur le processus d’Astana. Lancé en 2017, ce cadre de discussions entre les deux pays, auxquels s’est joint l’Iran, visait à trouver une issue politique au conflit.
Mais pour la Turquie, les récents bombardements sur Idleb « ont atteint un niveau qui mine l’esprit et la mise en œuvre des accords d’Astana ». Une manière de rappeler à Vladimir Poutine les engagements pris, et de l’inciter à user de son influence pour calmer le jeu côté syrien. Un test grandeur nature pour le fragile équilibre trouvé par les deux dirigeants sur ce dossier épineux.
L’avenir d’Idleb en question
Au cœur de ces enjeux géopolitiques, c’est bien le sort d’Idleb qui se joue. Tombée aux mains des rebelles en 2015, la province abrite aujourd’hui près de 3 millions de civils, dont une majorité de déplacés. Contrôlée par HTS, elle reste la dernière poche de résistance face à Damas. Un verrou que le régime syrien, appuyé par Moscou et Téhéran, cherche à faire sauter à tout prix.
Pour Mohammad al-Bachir, membre du « gouvernement » autoproclamé à Idleb, l’offensive jihadiste est une réponse aux attaques répétées des forces syriennes contre les populations civiles, poussant des dizaines de milliers de personnes sur les routes de l’exil. Des propos qui illustrent la détermination des groupes anti-Assad à défendre leur bastion, quitte à attiser la violence.
La communauté internationale à la peine
Face à cette nouvelle dégradation de la situation humanitaire en Syrie, la communauté internationale peine à trouver une réponse commune. À l’ONU, les intérêts antagonistes des acteurs impliqués, avec en première ligne la Russie et les pays occidentaux, bloquent toute prise de décision forte du Conseil de Sécurité. Hors cadre onusien, l’engagement des puissances reste sporadique.
Mais pendant que les diplomates débattent, c’est sur le terrain que la catastrophe se profile. Avec ces combats d’une intensité inédite depuis 2020, la province d’Idleb risque de devenir le prochain point de fixation du conflit syrien, après des années de guerre dévastatrice. Une guerre qui, en onze ans, a fait plus de 500 000 morts et déplacé la moitié de la population du pays. Sans action résolue de la communauté internationale, Idleb pourrait s’écrire comme un nouveau et tragique chapitre de ce conflit interminable.