Le tremblement de terre qui secoue actuellement le secteur des semi-conducteurs trouve son épicentre chez ASML. Ce géant européen, fournisseur clé des plus grands fabricants de puces comme Intel ou TSMC, vient d’essuyer une dégringolade boursière d’une rare violence. Retour sur ce séisme industriel aux répliques potentiellement dévastatrices.
60 milliards envolés en 48 heures, du jamais vu pour ASML
C’est une « erreur technique » qui a précipité l’électrochoc. Mercredi, les résultats trimestriels d’ASML ont fuité avec quelques heures d’avance. Le verdict des marchés a été sans appel : -10% dès l’ouverture, puis encore -8% le lendemain. Au total, le champion néerlandais des machines de lithographie pour puces a vu sa valorisation fondre de 60 milliards d’euros en deux séances.
Du jamais vu en 26 ans de cotation pour ce fleuron européen de la high-tech. Dans son sillage, c’est tout le secteur des semi-conducteurs qui a trébuché en Bourse, de l’Américain Applied Materials au Japonais Tokyo Electron en passant par les Européens STMicroelectronics et Soitec.
Un carnet de commandes en berne
La douche froide vient des prises de commandes d’ASML. Au 3ème trimestre, elles se sont effondrées à 2,6 milliards d’euros, contre 5 milliards attendus. Soit presque deux fois moins que prévu pour ces équipements de pointe, indispensables à la gravure des puces les plus fines et performantes.
Concrètement, cela signifie qu’Intel, TSMC ou Samsung – les mastodontes des puces et principaux clients d’ASML – réduisent leurs investissements pour les prochains mois. Un net coup de froid qui en dit long sur leur anticipation d’une demande en berne pour les smartphones, PC et autres produits tech.
Le spectre d’une récession mondiale
Plusieurs signaux préoccupants expliquent la frilosité soudaine des géants des puces. D’abord le ralentissement du marché chinois, crucial pour l’électronique. Mais aussi la prudence des consommateurs occidentaux, qui différent certains achats high-tech face à une inflation galopante et des taux d’intérêt en hausse.
À l’heure où nombre d’économistes agitent le spectre d’une récession mondiale, l’industrie des semi-conducteurs pourrait donc être l’un des premiers dominos à vaciller. Un secteur hautement stratégique et désormais au cœur des tensions géopolitiques entre Chine et USA.
L’Europe prise en étau
Dans ce contexte, la dégringolade d’ASML est un sérieux avertissement pour l’Europe. Le Vieux continent tente de renforcer son indépendance technologique, notamment via son « Chips Act » qui vise à relocaliser la production de puces. Mais il dépend encore largement d’acteurs comme ASML et ses machines uniques.
Si le géant néerlandais venait à être durablement affecté par un retournement de conjoncture, c’est tout l’écosystème européen des semi-conducteurs qui s’en trouverait fragilisé. À terme, ne pas maîtriser cette technologie clé pourrait coûter cher en compétitivité et en souveraineté.
Vers un krach des puces version 2023 ?
Le secteur des semi-conducteurs est coutumier des cycles brutaux, entre surchauffe et refroidissement. Mais la violence de la chute d’ASML fait craindre que le ralentissement soit cette fois plus sévère et durable. Certains évoquent même un « krach des puces » comme celui de 2001.
À l’époque, l’éclatement de la bulle internet avait provoqué un effondrement des ventes de composants et précipité des faillites en cascade. Vingt ans après, les valorisations stratosphériques de certains acteurs et la surchauffe des investissements font redouter un scénario similaire.
Tout s’est arrêté d’un coup, on est passé d’une économie de croissance effrénée à une économie de pénurie.
– Un analyste financier sous couvert d’anonymat
Face aux vents contraires, ASML se veut rassurant. Le groupe table sur une reprise des commandes dès 2023 et maintient ses investissements. Mais l’ampleur des dégâts boursiers montre que les marchés doutent. Et si le pionnier européen des puces venait à vaciller durablement, c’est une large part de la tech mondiale qui tremblerait sur ses bases.
Sans nul doute, le secteur des semi-conducteurs vient de connaître son plus gros séisme depuis 20 ans. Reste à savoir si ses fondations en seront durablement fragilisées. Une chose est sûre : dans l’ère post-Covid à hauts risques qui s’ouvre, la bataille technologique mondiale n’a jamais été aussi féroce et incertaine.