Alors que les Russes espéraient un répit après une année 2023 économiquement éprouvante, force est de constater que l’inflation n’a pas dit son dernier mot. Selon les derniers chiffres publiés par l’agence nationale des statistiques Rosstat, le rythme annuel des prix à la consommation a bondi à 9,5% en décembre 2024, contre 8,9% le mois précédent. Une accélération qui suscite l’inquiétude, tant du côté des ménages que des autorités monétaires.
La Banque centrale impuissante face à l’envolée des prix ?
Malgré une politique monétaire des plus restrictives, avec un taux directeur maintenu à 21% – du jamais vu depuis 2003 – la Banque centrale de Russie peine à endiguer la spirale inflationniste. Son objectif officiel de 4% semble plus que jamais hors d’atteinte, au grand dam de sa présidente Elvira Nabioullina, qui a fait de la lutte contre la hausse des prix son cheval de bataille.
Pourtant, tous les voyants étaient au vert en début d’année, avec une inflation contenue à 7,4%. Mais c’était sans compter sur une conjonction de facteurs défavorables, venus alimenter la machine à inflation au fil des mois.
L’impact des dépenses militaires et des sanctions
Au premier rang des causes identifiées, l’explosion des dépenses militaires liées à l’offensive en Ukraine. D’après une source proche du dossier, l’effort de guerre aurait coûté au bas mot l’équivalent de 3% du PIB russe en 2024. Des dépenses abyssales, financées par la planche à billets, au détriment des investissements productifs.
Autre facteur aggravant : les sanctions économiques imposées par les pays occidentaux. Si la Russie a su s’adapter et trouver de nouveaux débouchés à l’Est, il n’en demeure pas moins que ces mesures restrictives ont un coût, répercuté in fine sur les prix à la consommation.
La fuite des cerveaux pèse sur les salaires
Depuis le début du conflit en février 2022, la Russie fait face à un exode massif de sa main d’œuvre qualifiée. Des centaines de milliers d’hommes ont quitté le pays, soit pour rejoindre le front ukrainien, soit pour fuir la mobilisation. Résultat : des pénuries de main d’œuvre dans de nombreux secteurs clés de l’économie.
Pour pallier ces manques et attirer les talents, les entreprises n’ont d’autre choix que de consentir des augmentations de salaires substantielles. Une hausse du coût du travail qui, mécaniquement, se répercute sur les étiquettes. Selon un expert du marché de l’emploi, cette situation devrait perdurer tant que le conflit n’aura pas trouvé d’issue.
Dans le viseur des ménages : l’alimentation
Pour les ménages russes, c’est le coup de grâce. Déjà éprouvés par des années de stagnation de leur pouvoir d’achat, ils voient fondre leurs maigres économies comme neige au soleil. Les familles les plus modestes peinent désormais à boucler les fins de mois, contraintes de rogner sur les dépenses non essentielles pour maintenir leur niveau de vie.
Sans surprise, c’est sur le front alimentaire que la flambée des prix se fait le plus durement sentir. Selon les données de Rosstat, le prix du beurre a bondi de 36% en un an, celui du pain de 13%. Des hausses vertigineuses, qui mettent à mal le moral des consommateurs et nourrissent le mécontentement populaire.
Une politique monétaire contestée
Face à cette situation alarmante, les critiques se multiplient à l’encontre de la politique menée par la Banque centrale. Plusieurs grands patrons russes sont montés au créneau ces dernières semaines, dénonçant un taux directeur jugé trop élevé, qui asphyxie l’économie sans pour autant juguler l’inflation. Avec des taux d’emprunt compris entre 25 et 30%, les entreprises rechignent à investir, ce qui risque de gripper durablement la croissance.
La hausse des prix est un signal préoccupant.
– Vladimir Poutine, Président de la Fédération de Russie
Un constat partagé en haut lieu. Lors d’une intervention remarquée en décembre, Vladimir Poutine en personne a qualifié la hausse des prix de « signal préoccupant ». Un rare aveu de la part du maître du Kremlin, généralement prompt à vanter la résilience de l’économie russe face à l’adversité.
Quelle feuille de route pour 2025 ?
Alors que se profile une année 2025 sous de sombres auspices, avec une croissance attendue en berne, la question est sur toutes les lèvres : comment enrayer la spirale inflationniste sans étouffer l’activité ? Un dilemme cornélien pour les autorités monétaires, qui vont devoir redoubler d’inventivité pour trouver le point d’équilibre.
Une chose est sûre : l’inflation sera plus que jamais au cœur des débats économiques et politiques dans les mois à venir. De sa maîtrise dépendra en grande partie la stabilité sociale du pays, déjà mise à rude épreuve par trois années de conflit et de sanctions. Un défi de taille pour le pouvoir en place, qui joue là une part de sa crédibilité et de sa légitimité.