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Génocide au Rwanda : Un commerçant hutu face à la justice française

Un procès pour génocide est requis en France contre un commerçant hutu rwandais. Malgré ses dénégations, il est accusé de l'exécution de Tutsi en 1994. La justice française au cœur d'un dossier tragique et complexe.

La justice française est saisie d’un dossier aussi tragique que complexe. Le parquet national antiterroriste (Pnat) a en effet requis un procès pour génocide et crimes contre l’humanité à l’encontre d’un commerçant hutu rwandais, installé en France depuis 2009. Cet homme de 59 ans, décrit comme un « commerçant prospère jouissant d’un certain statut social » dans son pays d’origine, est accusé d’avoir activement participé à l’exécution de membres de la minorité tutsi entre avril et juillet 1994, lors du génocide qui a ensanglanté le Rwanda. Des accusations qu’il conteste avec force.

Un long parcours judiciaire

Réfugié en France avec sa famille depuis 2009, où il gérait un commerce près de Tours, Madjaliwa Safari avait obtenu le statut de réfugié en 2017 avant d’être interpellé en juillet 2023 suite à un mandat d’arrêt émis par les autorités rwandaises deux ans plus tôt. Mis en examen et incarcéré, il nie toute implication dans les faits qui lui sont reprochés.

Son avocat, Me Philippe Meilhac, dénonce une instruction « au pas de course » et remet en cause la crédibilité des témoins à charge, pour beaucoup déjà condamnés au Rwanda pour leur rôle dans le génocide. Il a plaidé pour un non-lieu et la remise en liberté immédiate de son client. Il appartient désormais au juge d’instruction de décider d’un éventuel renvoi devant les assises.

Des faits terribles mais contestés

Le commerçant hutu est notamment accusé d’avoir participé activement aux massacres perpétrés à la tristement célèbre barrière de Bigega, dans le sud du Rwanda, où une fosse commune a été découverte. Selon plusieurs témoins, il aurait été vu armé d’un fusil ou d’une « petite hache ». Des exécutions qu’il conteste, affirmant avoir été retenu auprès de son père blessé à l’époque des faits.

Condamné par contumace en 2007 à 15 ans de prison par un tribunal populaire rwandais, Safari n’avait pas exécuté sa peine. Les autorités rwandaises avaient demandé son extradition en 2019, ce que la justice française avait refusé. Le Pnat s’était néanmoins saisi du dossier, confiant les investigations à un juge spécialisé.

Une instruction minutieuse

Selon une source proche de l’enquête, les enquêteurs français spécialisés dans les crimes contre l’humanité se sont rendus à cinq reprises au Rwanda pour entendre des témoins et rassembler des éléments sur les exactions commises. Des investigations qui ont conduit le parquet à requérir le renvoi de Safari devant les assises, retenant les accusations d’implication dans l’attaque d’un groupe de Tutsi le 22 avril 1994 et le meurtre d’au moins deux hommes, dont un à coups de hache.

Le Pnat a en revanche demandé l’abandon des poursuites concernant quatre autres séries de meurtres listés dans l’acte d’accusation rwandais, faute d’éléments suffisamment probants. Il revient désormais à la justice d’instruction de se prononcer sur la tenue ou non d’un procès qui s’annonce intense et douloureux, près de 30 ans après l’un des pires génocides du XXe siècle.

Le génocide rwandais, une plaie toujours ouverte

Pour mémoire, le génocide déclenché au Rwanda en avril 1994 par le régime extrémiste hutu alors au pouvoir a coûté la vie à environ 800 000 personnes selon l’ONU, essentiellement au sein de la minorité tutsi mais aussi parmi les Hutu modérés. Les tueries avaient débuté après l’attentat contre l’avion du président Habyarimana, abattu alors qu’il revenait de négociations de paix en Tanzanie avec la rébellion tutsi du FPR.

Près de trois décennies plus tard, la traque des responsables du génocide se poursuit à travers le monde. La France, régulièrement accusée par Kigali d’avoir soutenu le régime génocidaire hutu de l’époque, a déjà jugé ou renvoyé aux assises plusieurs Rwandais installés sur son territoire et soupçonnés d’avoir pris part aux massacres.

Un devoir de mémoire et de justice

Au-delà du cas individuel de Madjaliwa Safari, ce sont toutes les plaies du génocide rwandais qui menacent de se rouvrir avec ce procès. Pour les rescapés tutsi, chaque procédure est une occasion douloureuse mais nécessaire de faire éclater la vérité et reconnaître l’indicible. Un impératif de justice et de mémoire, pour ne jamais oublier les centaines de milliers de victimes de la folie meurtrière.

Mais les procès des présumés génocidaires sont aussi l’occasion pour leurs défenseurs de dénoncer une justice partiale et politisée, instrumentalisée par le pouvoir tutsi de Kigali pour régler ses comptes avec la diaspora hutu. Entre devoir de mémoire, exigence de vérité et risque de révisionnisme, l’équation judiciaire et mémorielle du génocide rwandais reste à résoudre, un quart de siècle après les faits.

En attendant, c’est la justice française qui va devoir une nouvelle fois se pencher sur ce dossier brûlant et trancher, au plus près de sa conscience, sur le sort d’un homme accusé de la pire des atrocités. Un procès rare et sensible au cœur des tourments de l’histoire rwandaise, dont l’issue sera forcément scrutée des deux côtés de l’Atlantique. La quête de vérité et de justice, si longtemps différée, mérite cette ultime étape judiciaire, dans le respect de la présomption d’innocence mais sans concession face à l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité.

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