La Roumanie traverse une période de fortes turbulences politiques après la décision surprise de la Cour constitutionnelle d’annuler le premier tour de l’élection présidentielle sur fond de soupçons d’ingérence russe. Cette annonce intervenue à seulement deux jours du second tour a provoqué la colère du candidat nationaliste d’extrême droite Calin Georgescu, arrivé en tête au premier tour, qui dénonce un « coup d’État » et appelle ses partisans à se mobiliser.
Un scrutin sous haute tension
Jusqu’à l’annulation du scrutin vendredi, la victoire de Georgescu, un admirateur de Poutine soutenu par une partie de l’Église orthodoxe, semblait acquise malgré les mises en garde des observateurs sur la régularité du vote. Sa percée avait déjà provoqué l’inquiétude des partenaires européens et américains de la Roumanie, qui redoutent de voir ce pays basculer dans le camp prorusse.
D’après une source proche du dossier, des éléments concrets prouveraient une ingérence de Moscou pour favoriser Georgescu, via de la désinformation et des financements occultes. De quoi pousser la Cour constitutionnelle à prendre une décision radicale, inédite dans l’histoire post-communiste du pays.
Le candidat prorusse crie au complot
Refusant de se plier à la décision de la Cour, Georgescu a immédiatement dénoncé «un coup d’État formalisé» et «la mise en coma artificiel de l’État de droit». Il a appelé ses partisans à manifester dimanche, jour initialement prévu pour le second tour, contre ce qu’il qualifie de «hold-up électoral orchestré par les élites euro-atlantistes».
C’est l’annulation de notre démocratie. Aujourd’hui devait avoir lieu le second tour, il a été annulé. J’espère que nous ne nous retrouverons pas au printemps, et que ce second tour sera organisé le plus rapidement possible.
Calin Georgescu, candidat nationaliste à la présidentielle roumaine
Charismatique tribun rompu aux théories du complot, Georgescu a su capter la colère d’une partie de la population, exaspérée par la corruption et les inégalités, avec un discours violemment anti-occidental, anti-vaccin et climatosceptique. Adoré par ses fans mais accusé par ses détracteurs d’être une marionnette du Kremlin, il est devenu en quelques mois un acteur central de la scène politique roumaine.
Les autorités tentent d’éviter l’embrasement
Face à la pression de la rue, le gouvernement a appelé au calme et à la retenue, promettant une enquête approfondie sur les soupçons d’ingérence russe. Plusieurs perquisitions ont déjà eu lieu chez des proches de Georgescu. Mais les autorités craignent une escalade des tensions, sur fond de crise économique et énergétique.
Malgré le soutien de Bruxelles et Washington, le pouvoir en place apparaît fragilisé et peine à convaincre de sa capacité à organiser un nouveau scrutin présidentiel crédible. Certains redoutent une paralysie institutionnelle prolongée, voire un basculement du pays dans l’instabilité.
La société roumaine profondément divisée
Au-delà du feuilleton politico-judiciaire, cette séquence électorale chaotique révèle les profondes fractures qui traversent la société roumaine, plus de 30 ans après la chute du régime communiste de Ceausescu. Entre l’aspiration à un ancrage européen et les tentations nationalistes et autoritaires, le pays semble plus que jamais écartelé.
Selon les analystes, la montée en puissance des courants eurosceptiques et complotistes, surfant sur le désenchantement démocratique, constitue une véritable menace pour la stabilité et la cohésion nationale. Certains y voient la main de Moscou, qui chercherait à déstabiliser un pays clé aux portes de l’OTAN et de l’UE.
Quel avenir pour la démocratie roumaine ?
Alors que la Roumanie pensait avoir tourné la page des heures sombres de la dictature, l’ombre des régimes autoritaires semble à nouveau planer sur Bucarest. Entre rejet des élites, exaspération sociale et défiance envers les institutions, tous les ingrédients semblent réunis pour une crise politique majeure.
Dans ce contexte explosif, l’issue de ce bras de fer entre les pro-européens et les partisans d’une «illibéral democratie» apparaît incertaine. Une chose est sûre : l’avenir de la jeune démocratie roumaine se jouera dans les prochaines semaines. Avec le risque d’un scénario à la hongroise ou à la polonaise, où les forces nationalistes-populistes s’emparent durablement du pouvoir.