Imaginez-vous marcher dans les rues de Varsovie ou de Bialystok et croiser, sans le savoir, des individus qui photographient discrètement des ponts, des gares ou des dépôts militaires. Des gens ordinaires en apparence, payés en cryptomonnaies pour transmettre ces images à l’étranger. C’est exactement ce qui vient de se produire en Pologne.
Cinq arrestations qui confirment les craintes polonaises
Le parquet national polonais a annoncé, ce vendredi, l’inculpation de cinq personnes – deux citoyens ukrainiens et trois bélarusses – soupçonnées d’avoir agi pour le compte de services de renseignement étrangers, en l’occurrence russes. Trois d’entre eux ont immédiatement été placés en détention provisoire.
Cette affaire n’est pas isolée. Depuis l’invasion à grande échelle de l’Ukraine en février 2022, la Pologne affirme être la cible d’une véritable guerre hybride orchestrée par Moscou : sabotages, désinformation, espionnage.
Des missions très concrètes et dangereuses
Les suspects, interpellés cette semaine dans la capitale et dans l’est du pays, avaient pour tâche principale de transmettre des photographies d’infrastructures critiques et de sites stratégiques pour la sécurité nationale.
Mais leurs activités ne s’arrêtaient pas là. Selon l’Agence de sécurité intérieure (ABW), ils ont également collé des affiches, réalisé des graffitis à caractère politique et se tenaient prêts à exécuter toute autre mission demandée par leurs commanditaires.
« Les comportements cités s’inscrivent dans le modus operandi établi et connu des services de renseignement russes »
Communiqué de l’ABW
Recrutement via Telegram et paiement en cryptomonnaies
Le recrutement s’est fait de manière classique dans ce type d’opérations clandestines : via la messagerie cryptée Telegram. Une fois la confiance établie, les ordres tombaient et les paiements suivaient… en cryptomonnaies, rendant la traçabilité extrêmement complexe.
Cette méthode, à la fois discrète et rapide, est devenue la norme pour de nombreux services cherchant à financer des agents ou des sympathisants sans laisser de traces bancaires traditionnelles.
On comprend mieux pourquoi les autorités polonaises surveillent désormais de très près les flux de cryptomonnaies suspects en provenance ou à destination de personnes liées à la Russie ou au Bélarus.
Un bilan lourd depuis 2022
Cette vague d’arrestations n’est pas un coup isolé. Selon le porte-parole des services spéciaux polonais, 55 personnes soupçonnées d’activités d’espionnage ou de sabotage au profit de Moscou ont été interpellées depuis le début de la guerre en Ukraine.
Ce chiffre, impressionnant, montre à quel point la Pologne se considère comme un front avancé face aux tentatives d’influence et de déstabilisation russes.
En résumé depuis février 2022 :
- 55 interpellations liées à des activités pro-russes
- Multiplication des incidents sur les infrastructures
- Renforcement drastique des mesures de contre-espionnage
Les incidents ferroviaires de novembre : la goutte d’eau
Mi-novembre, deux événements ont particulièrement marqué les esprits et accéléré la réponse polonaise.
Le premier : un obstacle en acier placé sur une voie ferrée, probablement destiné à provoquer un déraillement. Le second, plus grave : la détonation d’un engin explosif de qualité militaire sur une ligne essentielle pour l’acheminement de l’aide militaire vers l’Ukraine.
Aucun blessé, fort heureusement, mais ces actes ont été qualifiés de « terrorisme d’État » par le Premier ministre Donald Tusk lui-même.
Conséquences diplomatiques immédiates
La réponse de Varsovie ne s’est pas fait attendre. Quelques jours après ces sabotages, la Pologne a fermé son dernier consulat russe sur son territoire. Moscou a répliqué par une mesure symétrique, mais le message était clair : la patience polonaise est à bout.
Cette fermeture s’inscrit dans une série de mesures de plus en plus fermes : expulsions de diplomates, gels d’avoirs, renforcement des contrôles aux frontières avec le Bélarus.
Pourquoi la Pologne est-elle autant ciblée ?
Sa position géographique d’abord : voisin direct de l’Ukraine et du Bélarus, hub logistique majeur pour l’aide militaire occidentale. Son engagement sans faille ensuite : Varsovie est l’un des plus fermes soutiens de Kiev, tant sur le plan militaire que politique.
Enfin, son histoire : la Pologne n’a jamais caché sa méfiance viscérale envers Moscou, héritage de décennies de domination soviétique puis de tensions post-1989.
Tous ces éléments font du pays une cible prioritaire pour toute opération visant à ralentir ou perturber le soutien occidental à l’Ukraine.
Vers une intensification du contre-espionnage ?
Cette nouvelle affaire risque de renforcer encore la vigilance des services polonais. On peut s’attendre à des contrôles accrus sur les citoyens de pays tiers résidant en Pologne, à une surveillance renforcée des communications cryptées et à une coopération encore plus étroite avec les partenaires de l’OTAN.
Car si cinq personnes viennent d’être neutralisées, rien ne dit que d’autres cellules ne sont pas déjà actives sur le territoire.
Dans ce climat de tension permanente, chaque photographie anodine d’un pont ou d’une gare peut désormais être perçue comme une menace potentielle. Et chaque paiement en cryptomonnaie suspect comme le signe d’une opération en cours.
La guerre en Ukraine ne se joue plus seulement sur le front est. Elle s’est déplacée, en partie, dans l’ombre des grandes villes européennes. Et la Pologne, plus que jamais, se tient en première ligne.









