Imaginez un instant : un juge brésilien, au cœur d’un des procès politiques les plus médiatisés du continent sud-américain, se retrouve soudainement sous le feu croisé des sanctions américaines. Quelques mois plus tard, Washington fait machine arrière et lève ces mesures. Que s’est-il passé pour que les États-Unis changent d’avis aussi rapidement ?
Un revirement américain inattendu
Le département du Trésor américain a officiellement annoncé, ce vendredi, le retrait des sanctions qui pesaient depuis la fin juillet sur Alexandre de Moraes, juge de la Cour suprême brésilienne, ainsi que sur son épouse Viviane Barci de Moraes. Cette décision marque un tournant majeur dans les relations entre les deux pays.
Les sanctions avaient été imposées en raison des accusations portées contre le magistrat, accusé d’avoir utilisé sa position pour cibler des opposants politiques, des journalistes et même des entreprises américaines. Aujourd’hui, Washington considère que maintenir ces mesures ne correspond plus aux intérêts de sa politique étrangère.
La raison principale de ce changement ? Le vote, par le Congrès brésilien, d’une loi visant à instaurer une forme de pacification nationale. Ce texte accorde une liberté conditionnelle à plus d’une centaine de partisans de l’ancien président Jair Bolsonaro, condamnés pour leur implication dans les événements du 8 janvier 2023.
Le contexte de la loi d’amnistie
Mercredi dernier, après une séance particulièrement tendue, les députés brésiliens ont adopté cette proposition de loi. Elle prévoit une réduction significative des peines de prison pour divers délits, y compris celui de tentative de coup d’État. L’objectif affiché : apaiser les tensions politiques qui divisent le pays depuis plusieurs années.
Les personnes concernées avaient été condamnées pour leur participation à l’assaut des sièges des pouvoirs à Brasilia, le 8 janvier 2023. Cet événement avait marqué les esprits : des manifestants pro-Bolsonaro avaient envahi le palais présidentiel, le Congrès et la Cour suprême, dans une tentative de contester la victoire électorale de Luiz Inacio Lula da Silva.
Pour Washington, cette loi représente un pas en avant. Elle permettrait, selon les autorités américaines, de limiter les abus perçus dans le système judiciaire brésilien.
Les accusations initiales contre le juge de Moraes
Fin juillet, le Trésor américain avait justifié les sanctions en affirmant que Alexandre de Moraes avait abusé de son pouvoir pour cibler des opposants politiques. Parmi eux, l’ex-président Jair Bolsonaro, des journalistes, des réseaux sociaux américains et d’autres entreprises internationales.
Le magistrat avait notamment ordonné le blocage de la plateforme X (anciennement Twitter) au Brésil pendant 40 jours. Cette mesure avait pris fin lorsque le réseau social d’Elon Musk avait accepté de supprimer certains comptes accusés de diffuser des informations fausses.
De la même manière, en février, le juge avait fait bloquer la plateforme vidéo Rumble, particulièrement populaire auprès des conservateurs américains. Ces décisions avaient été perçues par Washington comme une atteinte à la liberté d’expression.
Le procès de Jair Bolsonaro
L’ancien président brésilien a été condamné à 27 ans de prison pour tentative de coup d’État. Le parquet avait démontré que le projet ourdi par son entourage visait à assassiner le président Lula, son vice-président Geraldo Alckmin et le juge Alexandre de Moraes lui-même.
Ce plan aurait échoué faute de soutien des hauts responsables militaires. Le procès, qui a duré plusieurs mois, a été au centre de toutes les attentions, tant au Brésil qu’à l’international.
Jair Bolsonaro, allié du président américain Donald Trump, avait toujours dénoncé un acharnement judiciaire à son encontre. Son fils Eduardo Bolsonaro, député et lui-même visé par des poursuites pour entrave à la justice, a exprimé son regret face à la levée des sanctions, tout en se disant reconnaissant du soutien de Donald Trump.
Les sanctions économiques en plus des mesures individuelles
Outre les sanctions personnelles visant le juge de Moraes, les États-Unis avaient imposé des droits de douane de 40 % sur plusieurs produits brésiliens. Ces mesures avaient fortement impacté les exportations agricoles du pays sud-américain.
Jeudi dernier, Washington a annoncé la levée progressive de ces droits de douane élevés, dans le cadre de négociations en cours avec les autorités brésiliennes. Ce geste symbolise un réel réchauffement des relations entre les deux pays.
La rencontre Lula-Trump : un symbole de détente
Fin octobre, le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva et Donald Trump s’étaient rencontrés en Malaisie. Cette rencontre, très commentée, avait déjà donné des signes d’une possible normalisation des relations entre Washington et Brasilia.
Les autorités américaines avaient alors réaffirmé leur inquiétude face à ce qu’elles considéraient comme un usage politique du système judiciaire brésilien. Elles ont désormais salué la loi d’amnistie comme un moyen de corriger ces dérives.
Réactions au Brésil et à l’international
Du côté des partisans de Jair Bolsonaro, la décision américaine est perçue comme une victoire partielle. Eduardo Bolsonaro a notamment souligné le soutien continu de Donald Trump à son père.
Le secrétaire d’État adjoint américain Christopher Landau a déclaré sur X que les États-Unis accueillaient positivement la loi votée par le Congrès brésilien, qui limiterait, selon lui, les abus du système judiciaire.
De son côté, le camp du président Lula se montre plus prudent. La levée des sanctions est vue comme un geste diplomatique, mais sans pour autant remettre en cause les condamnations prononcées contre les responsables de la tentative de coup d’État.
Quelles conséquences pour l’avenir des relations bilatérales ?
Ce revirement américain ouvre la voie à une normalisation complète des relations entre les deux pays. Les négociations sur les droits de douane et les échanges commerciaux devraient s’accélérer dans les prochains mois.
Pour le Brésil, il s’agit d’un signal positif : le pays retrouve une certaine crédibilité sur la scène internationale, notamment auprès des investisseurs étrangers.
Pour les États-Unis, cette décision montre une volonté de privilégier le dialogue et la coopération plutôt que la confrontation, même lorsque les visions politiques divergent.
Un épisode qui illustre les tensions entre justice et politique
Cet épisode met en lumière les tensions persistantes entre pouvoir judiciaire et pouvoir politique, tant au Brésil qu’à l’international. La question de l’indépendance de la justice face aux pressions politiques reste entière.
De nombreux observateurs s’interrogent : la loi d’amnistie est-elle réellement un outil de pacification, ou risque-t-elle d’ouvrir la porte à l’impunité pour les auteurs de graves atteintes à l’État de droit ?
Le débat est loin d’être clos. Les prochaines semaines et mois seront déterminants pour comprendre si ce geste américain marque le début d’une nouvelle ère dans les relations entre Washington et Brasilia, ou s’il ne s’agit que d’une parenthèse temporaire.
En tout état de cause, cette affaire montre à quel point la politique internationale peut être influencée par des considérations internes, et comment un simple vote au Congrès peut modifier la donne diplomatique en quelques jours.
Le Brésil et les États-Unis, deux grandes démocraties du continent américain, semblent désormais prêts à tourner la page. Mais les cicatrices laissées par les événements de 2023 et le procès de Jair Bolsonaro ne s’effaceront pas si facilement.
La levée des sanctions contre Alexandre de Moraes est un symbole fort. Elle rappelle que, dans le jeu complexe des relations internationales, la diplomatie l’emporte souvent sur la confrontation.









