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Une Nuit Qui A Changé Trois Vies à Jamais en Corée

Il y a un an, une nuit glaciale de décembre, la Corée du Sud replongeait dans ses pires cauchemars. Un député du parti présidentiel, un haut fonctionnaire et une jeune conductrice novice ont tout risqué pour dire non. Qui sont ces trois héros ordinaires dont la vie a basculé à jamais ?

Imaginez-vous confortablement installé devant votre télévision un mardi soir d’hiver. Tout à coup, les programmes s’interrompent. Le visage grave du président apparaît. Et il prononce des mots que plus personne n’imaginait entendre un jour : « Je déclare la loi martiale d’urgence ».

C’est exactement ce qui s’est passé le 3 décembre 2024 en Corée du Sud. En quelques minutes, hélicoptères, blindés et soldats armés envahissaient les rues de Séoul pour boucler le Parlement. Une nuit qui a fait basculer le pays… et surtout trois destinées que rien ne prédestinait à entrer dans l’histoire.

Le 3 décembre 2024 : la nuit où tout a basculé

Il faisait un froid glacial. Vers 22 heures, Yoon Suk Yeol accusait publiquement des « forces communistes pro-nord-coréennes » d’avoir infiltré le pays. L’armée recevait l’ordre de prendre le contrôle de l’Assemblée nationale. Des fenêtres volaient en éclats, des députés se faufilaient par des issues dérobées pour aller voter.

En quelques heures seulement, les élus présents réussissaient l’impossible : ils votaient à l’unanimité la levée de la loi martiale. Dehors, des milliers de citoyens bravaient le froid et les blindés pour crier leur refus de retomber dans la dictature.

Un an plus tard, trois d’entre eux racontent comment cette nuit a redessiné leur existence.

Kim Sang-wook : le député qui a trahi son propre camp

Ce soir-là, Kim Sang-wook est député depuis quelques mois seulement. Et pas n’importe où : au sein même du parti présidentiel, le Parti du pouvoir au peuple (PPP).

Quand il apprend la nouvelle, il fonce vers l’Assemblée nationale. Il sera l’un des premiers à franchir les cordons de soldats. Face aux militaires en armes, il hurle : « L’Assemblée nationale n’est pas un endroit où vous pouvez entrer ! »

« J’ai agi par devoir. Il fallait abolir cette loi martiale à tout prix. »

Kim Sang-wook

Son vote fera partie de ceux qui annulent la décision présidentielle. Mais il ne s’arrête pas là. Il comprend très vite que la seule solution durable passe par la destitution de Yoon Suk Yeol.

La motion de destitution a besoin de huit voix conservatrices pour passer. Kim Sang-wook devient l’homme qui va convaincre ses collègues de franchir le Rubicon.

Il les supplie, accepte d’être insulté, moqué, traité de traître. Le 14 décembre, douze députés du PPP votent finalement la destitution. Quatre voix de plus que le minimum requis.

Le soulagement est immense. Mais le prix personnel aussi.

Rejeté par son propre camp, Kim Sang-wook se retrouve seul. Une photo le montre effondré, en larmes, sur son siège à l’Assemblée. L’image devient virale.

Pendant des semaines, il se demande quoi faire de sa vie politique. Puis il prend une décision radicale : il soutient publiquement Lee Jae-myung, le leader de l’opposition.

En avril 2025, Yoon Suk Yeol est officiellement destitué. En juin, Lee Jae-myung remporte l’élection présidentielle anticipée.

Aujourd’hui, Kim Sang-wook l’affirme sans détour :

« Ce qui s’est passé après le 3 décembre a donné un sens à ma vie et à mes opinions politiques. C’est comme si j’avais trouvé une boussole, un phare. Je sais maintenant où je dois aller. »

Ryu Hyuk : le haut fonctionnaire qui a claqué la porte

Ryu Hyuk, 57 ans, est inspecteur général au ministère de la Justice. Ce soir-là, on le convoque d’urgence au bureau. D’autres hauts responsables sont déjà présents.

Il pose la question qui brûle toutes les lèvres : « Cette réunion a-t-elle un rapport avec la loi martiale ? » Le ministre répond oui, sans détour.

Cette réponse suffit. Pour Ryu Hyuk, rester en poste serait cautionner l’inacceptable.

Dehors, dans le couloir, il rédige sa lettre de démission à la main. Puis il revient dans la salle et lâche :

« Peu importe vos opinions politiques, la loi martiale n’est pas acceptable ! »

Il sera le seul haut fonctionnaire à démissionner pendant toute la crise.

Un an après, Ryu Hyuk a radicalement changé de vie. Il fait de la plongée sous-marine, court des marathons, savoure chaque journée loin des bureaux.

L’ancien avocat envisage d’ouvrir son propre cabinet, mais rien ne presse. Il savoure surtout sa liberté retrouvée.

Et il en est convaincu :

« Si la loi martiale avait duré plus longtemps, beaucoup d’autres fonctionnaires auraient fini par partager mon point de vue. »

Kim Da-in : la femme qui a arrêté un char avec son corps

Kim Da-in n’a son permis de conduire que depuis un mois quand elle apprend la nouvelle. À 25 ans, elle prend le volant, ses parents à ses côtés, et fonce vers l’Assemblée nationale.

Ses parents ont vécu les années de dictature. Ils savent ce que signifie vraiment « loi martiale ». Toute la famille ressent le poids du moment.

Quand elle arrive sur place, le vote a déjà eu lieu. Mais l’atmosphère reste électrique. Les blindés sont toujours là.

Soudain, elle en voit un avancer dangereusement vers le Parlement. Sans réfléchir, elle se met à courir. Et se plante devant le char.

« Je n’avais pas peur. »

Kim Da-in

Une vidéo la filme, droite face à la machine de guerre. L’image devient instantanément le symbole de la résistance civile.

Dans les semaines qui suivent, elle rejoint les immenses manifestations anti-Yoon. Sous la neige, dans le froid mordant, elle marche aux côtés de centaines de milliers de Coréens.

Cette énergie collective la transforme profondément.

Elle qui étudiait en ligne décide de s’inscrire à l’université pour vivre enfin parmi les jeunes qui l’ont tant impressionnée cette nuit-là.

Aujourd’hui, on l’appelle « la femme qui a arrêté le char ». Elle assume pleinement ce titre.

« Ce que je veux dire, en tant que femme qui s’est dressée devant ce char, est simple : j’ai l’intention de tenir bon. »

Cette nuit de décembre a révélé trois visages du courage ordinaire. Un député prêt à tout perdre pour ses convictions. Un haut fonctionnaire qui a préféré la démission à la compromission. Une jeune femme qui a littéralement arrêté un blindé avec son corps.

Ils n’étaient pas destinés à devenir des symboles. Pourtant, en une seule nuit, ils ont écrit une page décisive de l’histoire démocratique sud-coréenne.

Et un an après, leurs vies continuent de porter la marque indélébile de ce 3 décembre 2024.

Parfois, il suffit d’une nuit pour que des vies entières basculent. Et pour que des citoyens ordinaires deviennent les gardiens inattendus de la démocratie.

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