C’est un nouveau coup de semonce lancé par Washington à l’encontre de Pékin. Vendredi dernier, les États-Unis ont annoncé l’élargissement de leur liste noire visant les importations en provenance du Xinjiang, cette région autonome du nord-ouest de la Chine. Au cœur des tensions : les soupçons de travail forcé à grande échelle imposé à la minorité ouïghoure.
30 entreprises chinoises bannies d’exportation
Pas moins de 30 nouvelles sociétés chinoises ont ainsi été épinglées par les autorités américaines. Elles sont accusées soit d’utiliser des matières premières ou composants fabriqués grâce au labeur contraint des Ouïghours, soit d’employer directement cette main d’œuvre servile dans leurs usines. Au total, ce sont maintenant 107 entreprises du Xinjiang qui se voient interdire d’exporter vers le marché américain, comme l’a précisé le département de la Sécurité intérieure.
Pour la représentante au Commerce Katherine Tai, cette décision démontre une nouvelle fois “la résolution” de l’administration Biden à empêcher l’entrée aux USA de “produits issus du travail forcé” de cette minorité musulmane persécutée. Une position saluée par la commission parlementaire dédiée au parti communiste chinois, qui se félicite de “ce pas supplémentaire” et appelle les firmes américaines à “couper totalement leurs liens” avec leurs homologues liées au PCC.
Un “génocide” dénoncé par l’Occident
Car au-delà de l’exploitation économique, c’est bien un véritable ethnocide qui est dénoncé par Washington et de nombreuses capitales occidentales. Selon des ONG de défense des droits humains, plus d’un million d’Ouïghours seraient actuellement détenus dans des “camps de rééducation” au Xinjiang. Stérilisations et avortements forcés, travaux pénibles, endoctrinement idéologique… Un traitement s’apparentant à un “génocide” aux yeux des États-Unis.
Des accusations vigoureusement rejetées par le régime chinois, qui parle de “mensonges éhontés” motivés par une volonté de “salir” et “déstabiliser” le pays. Pékin présente ces structures comme des “centres de formation professionnelle” destinés à éradiquer l’extrémisme religieux et le séparatisme dans une région frontalière souvent instable par le passé.
Une loi pour bannir les produits du Xinjiang
Mais les preuves et témoignages continuent de s’accumuler, poussant les États-Unis à durcir leur position. En décembre 2021, le Congrès a ainsi adopté une loi interdisant l’importation de toute marchandise provenant du Xinjiang, à moins que les entreprises ne prouvent qu’elles n’ont pas eu recours au travail forcé. Une contrainte lourde qui touche de nombreux secteurs, de l’agroalimentaire au textile en passant par les panneaux solaires.
Avec cette nouvelle salve de sanctions, Washington compte bien accentuer la pression sur le géant asiatique. Car derrière la question des droits humains, ce sont aussi les ambitions hégémoniques de la Chine qui inquiètent son rival américain. Entre les deux superpuissances, la guerre économique et diplomatique ne fait sans doute que commencer.
Les États-Unis continueront à défendre résolument la dignité humaine et les droits des travailleurs. Nous appelons le gouvernement chinois à cesser son génocide et ses crimes contre l’humanité visant les Ouïghours et les membres d’autres groupes ethniques et religieux minoritaires au Xinjiang.
Antony Blinken, Secrétaire d’État américain
Une condamnation ferme, à laquelle Pékin n’a pas manqué de réagir :
Les allégations de “travail forcé” et de “génocide” au Xinjiang sont un mensonge du siècle, fabriqué et propagé par des forces anti-chinoises. Les tentatives américaines d’interférer dans les affaires intérieures de la Chine sous prétexte des droits de l’homme sont vouées à l’échec.
Mao Ning, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères
Le dilemme des multinationales
Au milieu de ces joutes verbales, les entreprises occidentales sont de plus en plus confrontées à un dilemme cornélien. Faut-il se retirer totalement du Xinjiang, au risque de perdre un immense marché et des fournisseurs clés ? Ou maintenir coûte que coûte ses activités en tentant de prouver sa bonne foi ? Un choix d’autant plus complexe que la traçabilité des chaînes d’approvisionnement en Chine est souvent opaque.
Plusieurs grands noms comme H&M, Nike ou Calvin Klein ont déjà été épinglés pour leur recours, direct ou indirect, au travail forcé ouïghour. Face au tollé, certains ont fait machine arrière en coupant les ponts avec les usines incriminées. D’autres jouent la montre en essayant d’améliorer leurs contrôles, sans garantie de résultat. Une chose est sûre : sous la pression de Washington, le Xinjiang est en passe de devenir une terre brûlée pour les investisseurs étrangers.
L’indignation des consommateurs
Car l’opinion publique occidentale est de plus en plus sensibilisée à la question des Ouïghours. Sur les réseaux sociaux, les appels au boycott des produits “made in Xinjiang” se multiplient, forçant les marques à réagir. Certaines applications permettent même de scanner les codes-barres pour détecter les articles potentiellement issus du travail forcé.
Signe de cette prise de conscience, une récente pétition lancée par des associations et syndicats a recueilli plus de 180 000 signatures pour demander à l’Union européenne d’adopter une législation comparable à celle des États-Unis. Bruxelles planche actuellement sur un projet de règlement visant à bannir les produits fabriqués par des travailleurs forcés, où qu’ils se trouvent dans le monde. Reste à savoir si les Vingt-Sept parviendront à parler d’une seule voix face à Pékin.
Car si l’indignation est palpable, les intérêts économiques en jeu sont colossaux. Le Xinjiang est un maillon essentiel des “nouvelles routes de la soie”, ce gigantesque projet d’infrastructures cher à Xi Jinping pour relier la Chine à l’Europe et au Moyen-Orient. Difficile dans ce contexte de se passer totalement de cette région cruciale, grande comme trois fois la France.
Vers une nouvelle guerre froide ?
Au-delà de l’enjeu humanitaire, c’est donc bien une bataille géopolitique et idéologique qui se joue au Xinjiang. Pour les États-Unis, il s’agit de contenir l’expansionnisme chinois et de défendre les valeurs démocratiques face à un régime de plus en plus autoritaire. Une stratégie de “découplage” économique qui vise à réduire la dépendance américaine envers le géant asiatique.
Une ligne dure qui n’est pas sans rappeler les heures sombres de la guerre froide. D’autant que la Chine n’entend pas se laisser dicter sa conduite et brandit la menace de représailles commerciales. Entre les deux puissances, le dialogue semble plus que jamais rompu, laissant craindre une escalade des tensions.
Quel avenir pour les Ouïghours ?
Dans ce bras de fer géant, c’est le sort de millions d’êtres humains qui est en jeu. Malgré les pressions internationales, rien n’indique que Pékin soit prêt à changer de cap au Xinjiang. Au contraire, la répression semble s’intensifier, avec le recours massif à la surveillance high-tech et à l’intelligence artificielle pour contrôler la population.
Face à cette réalité glaçante, la mobilisation de la communauté internationale apparaît bien timide. Si les sanctions se multiplient, elles restent largement symboliques et n’ont guère d’impact sur le terrain. Seul un front uni et déterminé des démocraties pourrait peut-être infléchir la politique chinoise. Mais à l’heure où chacun se replie sur ses intérêts nationaux, cet espoir semble encore lointain.
En attendant, pour les Ouïghours du Xinjiang, le cauchemar continue. Privés de leurs droits les plus élémentaires, réduits à l’état d’esclaves modernes, ils voient leur identité et leur culture être méthodiquement effacées. Un ethnocide à huis clos, loin des regards indiscrets. Et si le monde finissait par les oublier ?