Imaginez un Américain débarquant à Berlin en 1992, sans parler un mot d’allemand, mais avec une curiosité insatiable. C’est l’histoire de Tim Mohr, un homme qui a transformé une bourse d’enseignement en une carrière éclectique, mêlant les platines des clubs underground aux pages des romans allemands. Décédé le 31 mars 2025 à l’âge de 55 ans, il laisse derrière lui un héritage qui résonne bien au-delà des frontières.
Un Parcours Hors du Commun
Tim Mohr n’était pas destiné à devenir une figure de la scène culturelle berlinoise. Né à Baltimore en 1969, il grandit dans une famille d’universitaires, baigné dans un environnement où l’histoire et la littérature étaient des piliers. Diplômé de Yale en histoire médiévale, il aurait pu suivre une voie académique classique. Mais le destin en a décidé autrement.
Sa vie bascule lorsqu’il obtient une bourse pour enseigner l’anglais en Allemagne. Envoyé à Berlin, il découvre une ville en pleine mutation, tout juste sortie de la chute du Mur. Cette énergie brute, cette liberté nouvelle, le captivent. Il décide de rester, plongeant tête la première dans la scène underground des années 1990.
DJ et Journaliste : La Nuit et le Jour
À Berlin, Tim Mohr vit une double vie. Le jour, il écrit pour des magazines anglophones locaux, capturant l’effervescence de la ville. La nuit, il devient DJ, mixant dans des clubs où le punk et la techno se croisent. Cette immersion dans la **culture underground** lui ouvre les portes d’un monde vibrant, où la musique et les mots se mêlent.
Cette dualité n’est pas anodine. En arpentant les rues berlinoises, il apprend l’allemand, non pas dans les manuels, mais dans les conversations crues et spontanées des clubbeurs et des artistes. Cette langue vivante, loin des académies, deviendra la clé de sa carrière de traducteur.
« J’étais un Américain typique qui pensait que l’Allemagne était l’Oktoberfest. »
Tim Mohr, évoquant ses débuts à Berlin
Traducteur Engagé : Donner une Voix aux Autrices
Tim Mohr ne se contente pas de mixer des disques. Il se lance dans la **traduction littéraire**, un domaine qu’il aborde avec une mission : promouvoir les autrices allemandes. À une époque où les traducteurs et les écrivains traduits sont majoritairement masculins, il fait un choix audacieux. Il veut équilibrer la balance.
Son travail sur *Guantanamo* de Dorothea Dieckmann, publié en 2008, marque un tournant. Cette traduction lui vaut un prestigieux prix du meilleur livre traduit, une reconnaissance qui consacre son talent. Mohr ne traduit pas seulement des mots ; il transporte des univers, des émotions, des cultures.
Quelques œuvres traduites par Tim Mohr :
- *Guantanamo* – Dorothea Dieckmann (2008)
- *Die Liebe im Ernstfall* – Daniela Krien
- *Mädchen, Frau, etc.* – Bernardine Evaristo
Écrivain et Collaborateur des Stars
Mohr ne s’arrête pas à la traduction. Il endosse aussi le rôle d’**auteur fantôme**, rédigeant des mémoires pour des figures du rock. Parmi ses collaborations marquantes, on trouve *It’s So Easy (and Other Lies)*, les mémoires de Duff McKagan, bassiste de Guns N’Roses, publiées en 2011. Il travaille également avec Paul Stanley de Kiss sur *Face the Music : A Life Exposed* (2014).
Ces projets révèlent une facette moins connue de Mohr : sa capacité à capturer la voix d’autrui. Écrire pour des musiciens demande une écoute fine, une empathie rare. Mohr excelle dans cet art, transformant des anecdotes brutes en récits captivants.
L’Héritage du Punk : Burning Down the Haus
En 2018, Tim Mohr publie son propre ouvrage, *Burning Down the Haus : Punk Rock, Revolution, and the Fall of the Berlin Wall*. Ce livre, initialement écrit en allemand sous le titre *Stirb Nicht im Warteraum der Zukunft*, retrace l’histoire des punks est-allemands et leur rôle dans la chute du Mur de Berlin. C’est un hommage à une subculture méconnue, mais aussi une réflexion sur la liberté et la résistance.
Ce projet illustre parfaitement l’approche de Mohr : il s’intéresse aux marges, aux voix qui dérangent, aux histoires qui ne rentrent pas dans les cases. Son éditeur chez Europa Editions, Michael Reynolds, le décrit comme quelqu’un qui « s’engageait à travailler avec des auteurs en dehors du courant dominant ».
« Si vous l’avez connu, vous l’avez aimé. »
Paul Stanley, leader de Kiss, sur Tim Mohr
Une Vie Personnelle Ancrée
Derrière l’artiste, il y avait l’homme. En 2006, Tim Mohr épouse Erin Clarke, rencontrée lors d’un programme de formation dans l’édition à New York. Ensemble, ils s’installent à Brooklyn, où Mohr continue de jongler entre ses multiples passions. Sa vie personnelle, bien que discrète, témoigne d’un équilibre entre ses ambitions professionnelles et ses relations.
Son décès, causé par un **cancer du pancréas**, a bouleversé ceux qui l’ont connu. Les hommages affluent, de Paul Stanley à ses collègues éditeurs, tous saluant un homme généreux, curieux et profondément humain.
Pourquoi Tim Mohr Compte
L’histoire de Tim Mohr est celle d’un homme qui a su tisser des ponts entre les cultures, les genres et les époques. Voici pourquoi son parcours reste inspirant :
- Un passeur de cultures : En traduisant des autrices allemandes, il a donné une voix à des récits souvent ignorés.
- Un témoin de l’histoire : Son livre sur le punk est-allemand documente un mouvement clé dans la chute du Mur.
- Un artiste polyvalent : DJ, écrivain, traducteur, il a prouvé que les passions multiples enrichissent une vie.
Un Tableau de Ses Réalisations
Domaine | Contribution |
---|---|
Musique | DJ dans la scène underground berlinoise des années 1990. |
Littérature | Traduction primée de *Guantanamo* et autres œuvres. |
Écriture | Auteur de *Burning Down the Haus* et mémoires de musiciens. |
Un Héritage à Célébrer
Tim Mohr n’était pas seulement un DJ, un traducteur ou un écrivain. Il était un passeur, un homme qui a su capter l’essence d’une époque et la transmettre à travers ses multiples talents. Son amour pour Berlin, pour la langue allemande, pour les marges de la société, continue d’inspirer.
En repensant à son parcours, une question demeure : comment un homme peut-il laisser une empreinte si profonde en si peu de temps ? Peut-être parce que, comme le punk qu’il admirait, Tim Mohr vivait avec audace, sans compromis, et avec une passion débordante.
Tim Mohr : une lumière qui ne s’éteindra jamais.