C’est un discours qui risque de raviver les tensions entre Alger et Paris. Pour la première fois, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a évoqué publiquement l’arrestation mi-novembre de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal. Mais loin de calmer le jeu, le chef de l’État a qualifié l’intellectuel de 80 ans d' »imposteur .. envoyé » par la France, selon des propos rapportés par le site d’information TSA.
Un écrivain au cœur des relations houleuses entre l’Algérie et la France
Figure critique du régime algérien, Boualem Sansal est incarcéré depuis la mi-novembre pour atteinte à la sûreté de l’État. Il se trouve actuellement dans une unité de soins en raison de son état de santé préoccupant. Mais pour Abdelmadjid Tebboune, l’affaire dépasse le simple cas individuel. « Vous envoyez un imposteur qui ne connaît pas son identité, ne connaît pas son père et vient dire que la moitié de l’Algérie appartient à un autre État« , a-t-il déclaré dans un extrait de discours repris par TSA, faisant référence à des propos polémiques attribués à l’écrivain.
Des déclarations controversées sur l’intégrité territoriale de l’Algérie
Selon une source proche du dossier, le pouvoir algérien aurait très mal pris des déclarations de Boualem Sansal au média français Frontières, réputé d’extrême droite. L’écrivain y aurait repris la position du Maroc selon laquelle le territoire algérien aurait été tronqué sous la colonisation française au profit de l’Algérie. Des propos explosifs alors que la question des frontières héritées de la colonisation reste un sujet ultra-sensible entre Alger et Rabat.
L’épineuse question du Sahara occidental
Au-delà du cas Sansal, le président Tebboune a profité de son discours pour régler ses comptes avec la France sur un autre dossier brûlant : le conflit du Sahara occidental. Cette ex-colonie espagnole est contrôlée à 80% par le Maroc mais revendiquée par les indépendantistes du Front Polisario, soutenus par l’Algérie. Pour Abdelmadjid Tebboune, il s’agit d' »une question de décolonisation et d’autodétermination ». Une pique directe contre le plan marocain d’autonomie du Sahara « sous souveraineté marocaine », que le président algérien qualifie d' »idée française, pas marocaine ».
Paris accusé d’avoir laissé l’Algérie « en ruines » après l’indépendance
Les attaques contre la France ne se sont pas limitées à la question du Sahara occidental. Dans son discours à la nation, le président Tebboune s’en est pris violemment à l’ancien pays colonisateur. « Ceux (en France) qui disent que nous avons laissé un paradis à l’Algérie devraient savoir que 90% du peuple algérien était analphabète au moment de l’indépendance« , a-t-il martelé, estimant que « la colonisation a laissé l’Algérie en ruines« . Et d’enfoncer le clou : « Ils doivent admettre qu’ils ont tué et massacré des Algériens« . Des propos d’une rare virulence dans la bouche d’un chef d’État.
Une nouvelle escalade dans les tensions diplomatiques
Ce discours à charge intervient dans un contexte de fortes tensions entre Alger et Paris. Fin juillet, l’Algérie avait retiré son ambassadeur en France après que le président Emmanuel Macron ait apporté un soutien appuyé aux propositions marocaines sur le Sahara occidental. La visite de M. Macron à Rabat fin octobre avait encore jeté de l’huile sur le feu. Avec ces nouvelles déclarations, Abdelmadjid Tebboune semble déterminé à maintenir la pression sur la France, quitte à sacrifier un peu plus les relations bilatérales. Le cas Boualem Sansal pourrait bien servir de nouveau point de crispation entre les deux pays.
L’arrestation et la détention de l’écrivain franco-algérien continuent en tout cas de susciter une vive émotion. Poursuivi en vertu de l’article 87 bis du code pénal qui sanctionne sévèrement toute atteinte « à la sûreté de l’État, l’intégrité du territoire, la stabilité et le fonctionnement normal des institutions », Boualem Sansal risque une lourde peine. Une situation jugée préoccupante par de nombreux intellectuels et défenseurs des droits humains, qui y voient une atteinte à la liberté d’expression. Mais à Alger, le ton est désormais à l’intransigeance, comme le montre le discours musclé du président Tebboune. L’affaire Sansal pourrait bien cristalliser pour longtemps les tensions franco-algériennes.