Quand on pense au minage de Bitcoin, on imagine souvent des hangars climatisés aux États-Unis ou des fermes géantes au Kazakhstan. Rarement un petit pays d’Asie centrale coincé entre l’Afghanistan et la Chine. Pourtant, le Tadjikistan vient de faire parler de lui de la manière la plus brutale qui soit : jusqu’à huit ans de prison pour ceux qui osent miner en détournant l’électricité publique.
Un hiver rude, des coupures quotidiennes de courant et, en parallèle, des milliers de machines qui tournent nuit et jour en consommant l’équivalent de villes entières. Voilà le cocktail explosif qui a poussé le parlement tadjik à voter des sanctions dignes d’un crime organisé.
Un durcissement sans précédent du code pénal
Le texte adopté est d’une clarté glaçante. Une nouvelle disposition vient s’ajouter au Code pénal : l’utilisation illégale d’électricité pour produire des actifs virtuels est désormais un délit à part entière. Les peines varient selon la gravité, mais elles font mal.
Un particulier pris en flagrant délit risque entre 15 000 et 37 000 somoni d’amende (environ 1 300 à 3 200 euros). Quand il s’agit d’un groupe organisé, la sanction grimpe jusqu’à 75 000 somoni et deux à cinq ans de prison. Et pour les cas jugés « particulièrement importants » – comprendre ceux qui vident littéralement des régions entières – c’est cinq à huit ans fermes.
Autant dire que le message est limpide : l’État ne plaisante plus.
Pourquoi une telle sévérité ?
Le procureur général du pays ne mâche pas ses mots. Selon lui, ces fermes clandestines sont directement responsables des pénuries qui touchent des villes et des régions entières chaque hiver. Les restrictions d’électricité imposées aux citoyens ? En grande partie à cause de ces installations pirates qui pompent sans vergogne sur le réseau.
Le chiffre officiel donne le vertige : plus de 32 millions de somoni de pertes (près de 2,8 millions d’euros) causées par le minage illégal. Et encore, ce montant ne concerne que les cas déjà identifiés. La réalité est probablement bien pire.
« Le trafic illégal d’actifs virtuels favorise une série de crimes : vol d’électricité, dommages matériels à l’État, blanchiment d’argent… »
Habibullo Vohidzoda, procureur général du Tadjikistan
Des enquêtes ont révélé des installations parfois énormes, alimentées par des branchements sauvages directement sur les lignes haute tension. Certains entrepreneurs importaient même du matériel dernier cri depuis l’étranger, en violation totale des règles douanières.
Un pays déjà au bord de la rupture énergétique
Le Tadjikistan repose à 95 % sur l’hydroélectricité. Le barrage de Nurek, le plus haut du monde, est une fierté nationale. Mais dès que l’hiver arrive, le niveau des réservoirs chute et la production s’effondre. Résultat : des coupures pouvant durer jusqu’à 18 heures par jour dans certaines régions.
Dans ce contexte, chaque kilowatt-heure compte. Et quand une ferme de minage consomme autant qu’une petite ville, la colère des autorités devient compréhensible. Même si elle prend des proportions presque inquisitoriales.
Car il faut le rappeler : le minage n’est pas interdit en tant que tel au Tadjikistan. Le pays avait même créé une zone économique spéciale à cet effet en 2021, avec des tarifs préférentiels. Mais très peu d’opérateurs ont choisi la voie légale, jugée trop coûteuse et trop encadrée.
Le minage légal existe… mais personne ne le veut
C’est là tout le paradoxe. L’État avait pourtant ouvert la porte. Une zone franche avec électricité à prix réduit, des exonérations fiscales pendant dix ans… Sur le papier, c’était attractif. Dans les faits ? Quasi personne n’y est allé.
Pourquoi ? Parce que même avec ces avantages, le coût restait supérieur à celui du vol pur et simple. Brancher ses machines directement sur le réseau coûtait… zéro. Le calcul était vite fait.
Aujourd’hui, cette époque semble révolue. Les perquisitions se multiplient, les saisies d’équipements aussi. Et avec la nouvelle loi, le risque pénal devient dissuasif au possible.
Des sanctions qui visent aussi la fraude fiscale
L’autre cible du texte : l’évasion fiscale. Beaucoup de mineurs opèrent dans l’ombre totale, sans déclarer le moindre revenu. Les autorités estiment que des centaines de millions de dollars échappent chaque année à l’impôt.
En criminalisant l’usage illégal d’électricité, le législateur crée une porte d’entrée idéale pour enquêter sur toute la chaîne : qui possède ces machines ? D’où vient l’argent ? Où vont les bitcoins minés ?
En clair, c’est une attaque à 360 degrés contre tout l’écosystème clandestin.
Un précédent qui pourrait faire école en Asie centrale
Le Tadjikistan n’est pas seul. Le Kirghizstan voisin a déjà interdit purement et simplement le minage en 2024. Le Kazakhstan, ancien eldorado des mineurs après l’exode chinois, resserre lui aussi la vis avec des taxes exorbitantes et des quotas énergétiques stricts.
On assiste à un retournement spectaculaire. La région qui accueillait à bras ouverts les réfugiés du minage chinois post-2021 devient aujourd’hui l’une des plus hostiles au monde.
Et pour cause : tous ces pays partagent le même talon d’Achille. Une dépendance massive à l’hydroélectricité et des hivers qui mettent les réseaux à genoux.
Que risque vraiment un mineur aujourd’hui au Tadjikistan ?
| Infraction | Amende | Prison |
|---|---|---|
| Usage illégal individuel | 15 000 à 37 000 somoni | Possible |
| Groupe organisé | Jusqu’à 75 000 somoni | 2 à 5 ans |
| Vol à grande échelle | Non précisé | 5 à 8 ans |
En pratique, les autorités semblent déterminées à faire des exemples. Les premières condamnations sous le nouveau régime devraient tomber rapidement après la signature présidentielle, attendue dans les tout prochains jours.
Et demain ?
Difficile de prédire l’impact exact. Certains mineurs vont sans doute démonter leurs installations et migrer vers des cieux plus cléments (s’il en reste). D’autres tenteront peut-être de passer en légal, même si les conditions restent peu attractives.
Une chose est sûre : le temps du far west énergétique en Asie centrale semble bel et bien révolu. Entre répression pénale et crise climatique qui réduit la production hydroélectrique année après année, le minage Bitcoin dans la région vient de prendre un coup peut-être fatal.
Reste à voir si d’autres pays suivront l’exemple tadjik. Car avec la montée en puissance du halving et la difficulté croissante du réseau Bitcoin, la chasse aux kilowatt-heures bon marché ne fait que commencer ailleurs dans le monde.
Au Tadjikistan, en tout cas, le message est passé : miner clandestinement n’est plus une affaire rentable. C’est devenu un billet aller simple pour la prison.









