Imaginez une adolescente de 15 ans, terrifiée à l’idée d’annoncer sa grossesse à sa famille. Sans options légales, elle se tourne vers une guérisseuse traditionnelle, subissant une intervention brutale qui la marquera à vie. Cette histoire n’est pas isolée : en Sierra Leone, des milliers de femmes vivent ce cauchemar à cause d’une législation archaïque sur l’avortement.
Le calvaire caché des femmes en Sierra Leone
Dans un quartier populaire de Freetown, une jeune femme de 28 ans revit encore les douleurs d’un avortement clandestin pratiqué treize ans plus tôt. Enceinte après son premier rapport sexuel, elle craignait d’être chassée de chez elle. Sans aide médicale légale, elle a confié son sort à une praticienne traditionnelle.
La nuit suivante fut un enfer : crampes insoutenables, saignements abondants pendant des semaines. Aujourd’hui encore, elle souffre de règles extrêmement douloureuses qui durent la moitié du mois. Son corps porte les séquelles d’une intervention réalisée dans l’urgence et l’illégalité.
Des méthodes dangereuses qui mettent des vies en péril
Les récits se ressemblent tristement. Certaines femmes achètent des médicaments en pharmacie et les utilisent seules, sans suivi médical. D’autres ingèrent des mélanges de plantes et d’antibiotiques conseillés par l’entourage. Les plus vulnérables font appel à des guérisseurs qui insèrent des objets comme des tiges de manioc dans le vagin.
Ces pratiques entraînent souvent des perforations utérines ou intestinales, des infections graves et des hémorragies massives. Un gynécologue d’une clinique spécialisée raconte avoir opéré de nombreuses patientes arrivées en état critique après de telles interventions.
Il décrit des cas où les femmes pensaient ne pas survivre. Son rôle : stopper les saignements, traiter les infections et tenter de préserver leur fertilité future. Pour lui, ces souffrances sont totalement évitables.
« La souffrance dont je suis témoin est évitable, et aucune femme ne devrait avoir à risquer sa vie en faisant un choix si personnel et qui concerne son corps. »
Une loi héritée de l’époque coloniale
En Sierra Leone, l’avortement reste interdit sauf lorsque la vie de la femme est directement menacée. Cette législation date de 1861, bien avant l’indépendance du pays. Elle ne reflète plus les réalités sanitaires ni sociales actuelles.
Le pays affiche pourtant l’un des taux de mortalité maternelle les plus élevés au monde, ainsi que des grossesses précoces très fréquentes. Face à cette situation alarmante, un espoir était né en 2022.
L’espoir d’une maternité sans risque
En juillet 2022, le président Julius Maada Bio a approuvé un projet de loi intitulé « maternité sans risque » et santé reproductive. Ce texte ambitionnait de dépénaliser l’avortement et d’améliorer l’accès aux soins reproductifs.
En 2024, le projet a été présenté au Parlement. Début 2025, le chef de l’État a même rencontré les parties prenantes pour demander une accélération du processus, plaidant pour des transformations profondes.
Mais depuis, un silence total. Ni le président ni le Parlement n’ont communiqué sur l’avancement. Les défenseurs des droits des femmes craignent un abandon discret du texte.
Les freins religieux et culturels
Le principal obstacle semble venir des groupes religieux influents. Le Conseil inter-religieux, composé majoritairement de leaders chrétiens et musulmans, s’oppose fermement au projet.
Ses responsables estiment que les termes « santé sexuelle et reproductive » sont un synonyme d’avortement légal. Pour eux, la loi proposée contredit les valeurs religieuses, éthiques et sociétales du pays.
« Le projet de loi va à l’encontre de nos valeurs religieuses, éthiques et sociétales et mettra en danger les femmes et notre société. »
Cette position reflète une réticence culturelle profonde. Des sondages récents montrent que si 82 % des Sierra-Léonais soutiennent l’accès à la contraception, 87 % rejettent l’avortement en cas de grossesse non désirée.
Des chiffres qui alertent
En 2021, environ 91 500 avortements illégaux ont été recensés, selon un rapport spécialisé publié en 2024. Ce chiffre ne représente probablement qu’une partie de la réalité, beaucoup d’interventions passant inaperçues.
Les complications liées à ces actes clandestins contribuent fortement à la mortalité maternelle. Dans un pays où l’accès aux soins reste limité, chaque intervention ratée peut devenir fatale.
Points clés sur la situation en Sierra Leone :
- Loi de 1861 toujours en vigueur
- Avortement autorisé uniquement si la vie de la mère est en danger
- 91 500 avortements clandestins estimés en 2021
- Taux élevé de grossesses précoces et de mortalité maternelle
- Projet de dépénalisation bloqué depuis 2025
Les voix des femmes touchées
Une jeune femme de 26 ans raconte avoir acheté des comprimés en pharmacie en 2024. Pas prête à devenir mère, elle les a pris seule, suivant les instructions trouvées. La nuit a été atroce : douleurs intenses et pertes de sang importantes.
Quelques jours plus tard, la grossesse était interrompue, mais une infection a nécessité un traitement supplémentaire. Elle garde un souvenir traumatisant de cette expérience solitaire.
Une autre, aujourd’hui infirmière de 22 ans, avait 15 ans lorsqu’elle a mélangé plantes traditionnelles et antibiotiques. Les saignements et complications qui ont suivi l’ont profondément marquée.
Aujourd’hui, elle sensibilise les jeunes dans les écoles et communautés, promouvant l’abstinence et la contraception. Elle ne souhaite à personne de vivre ce qu’elle a traversé.
Vers un changement possible ?
Malgré les oppositions, certains acteurs continuent de plaider pour une évolution. Les professionnels de santé insistent sur la nécessité de soins sécurisés. Ils rappellent que l’interdiction ne supprime pas la demande, mais la rend seulement plus dangereuse.
La dépénalisation permettrait un encadrement médical, réduisant drastiquement les complications. Elle offrirait aussi un espace de dialogue sur la santé reproductive, encore trop taboue.
Le silence actuel du pouvoir politique laisse planer le doute. Les pressions religieuses et culturelles semblent avoir pris le dessus, au détriment de la santé des femmes.
Pourtant, chaque histoire comme celle de ces jeunes femmes rappelle l’urgence d’agir. Derrière les statistiques se cachent des vies brisées, des corps abîmés et des traumatismes durables.
La Sierra Leone se trouve à un carrefour. Continuer à ignorer le problème condamne des générations de femmes à risquer leur vie pour un choix intime. Une réforme courageuse pourrait enfin offrir une maternité véritablement sans risque.
(Note : Cet article s’appuie sur des témoignages et données publiques disponibles jusqu’en décembre 2025. La situation législative peut évoluer.)









