Imaginez la scène : un ancien président de la République, condamné et incarcéré, reçoit un coup de fil de la cheffe du principal parti d’extrême droite. Au lieu de couper court, il lui fait une promesse qui va faire trembler tout l’échiquier politique français.
Le refus qui change tout
Cette conversation a eu lieu il y a quelques mois, alors que Nicolas Sarkozy venait d’être condamné à cinq ans de prison dans l’affaire du financement libyen de sa campagne de 2007. Marine Le Pen, qui avait publiquement pris sa défense, l’avait appelé pour le remercier de son soutien passé ou simplement pour échanger. L’échange a vite pris une tournure décisive.
La question est tombée, directe : « Votre voix porte encore sur l’électorat populaire. Vous associerez-vous à un quelconque front républicain lors des prochaines élections ? » La réponse de l’ancien chef de l’État ne souffre aucune ambiguïté : « Non, et de surcroît je l’assumerai en prenant le moment venu une position publique sur le sujet. »
Ma réponse fut sans ambiguïté : Non, et de surcroît je l’assumerai en prenant le moment venu une position publique sur le sujet.
Nicolas Sarkozy, extrait de Le Journal d’un prisonnier
Une rupture avec trente ans de doctrine
Depuis les années 1990, la droite républicaine française avait fait du « front républicain » une ligne rouge absolue : au second tour face au Front national (devenu Rassemblement national), on appelle à voter pour le candidat le mieux placé, même s’il est de gauche, pour faire barrage à l’extrême droite.
Jacques Chirac en 2002, Alain Juppé, François Fillon, et même Nicolas Sarkozy lui-même en 2017 avaient tous respecté ou défendu cette règle. En 2022, une grande partie des électeurs et cadres Les Républicains avait encore suivi cette consigne face à Emmanuel Macron.
Aujourd’hui, l’ancien président enterre publiquement cette stratégie. Et il ne s’arrête pas là.
« Rassemblement le plus large possible, sans exclusive »
Dans les pages suivantes de son livre à paraître mercredi, Nicolas Sarkozy va plus loin. Il estime que le chemin de reconstruction de la droite ne pourra passer que par l’esprit de rassemblement le plus large possible, sans exclusive et sans anathème.
Le message est clair : plus question d’exclure le Rassemblement national des discussions ou des alliances potentielles. Une position qui fait écho à celle défendue depuis plusieurs années par Laurent Wauquiez ou Éric Ciotti, mais qui, venant de l’ancien président, prend une tout autre dimension symbolique.
La réaction immédiate de Xavier Bertrand
Le président de la région Hauts-de-France, pourtant ancien ministre de Nicolas Sarkozy, n’a pas tardé à réagir. Sur les réseaux et dans la presse, Xavier Bertrand a déclaré préférer « les positions politiques de Nicolas Sarkozy de 2007 que celles de 2025 ».
En 2007, rappelons-le, le candidat Sarkozy faisait campagne sur le thème « Je ne veux pas que la France ait honte » et promettait de combattre les idées du Front national par l’action et par les convictions. Dix-huit ans plus tard, le même homme semble prêt à tourner définitivement cette page.
Un livre écrit depuis la prison
Le Journal d’un prisonnier n’est pas un simple récit judiciaire. Nicolas Sarkozy y raconte ses vingt jours passés en détention provisoire après sa condamnation en première instance pour association de malfaiteurs dans l’affaire des financements libyens présumés de 2007.
Libéré sous contrôle judiciaire, il reste interdit de quitter le territoire et de contacter de nombreux protagonistes du dossier, dont l’actuel ministre de la Justice Gérald Darmanin, qui lui avait rendu une visite très commentée en prison.
Le livre, écrit dans l’urgence et la détention et juste après, est donc marqué par cette épreuve personnelle. Mais il dépasse largement le cadre judiciaire pour devenir un véritable manifeste politique.
Macron en ligne de mire
L’actuel président de la République n’est pas épargné. Nicolas Sarkozy raconte une entrevue accordée juste avant son incarcération : « Je n’avais rien à lui dire et n’avais guère envie d’une discussion amicale avec lui ».
Une phrase qui en dit long sur l’amertume persistante entre les deux hommes, malgré les apparences parfois cordiales ces dernières années.
Vers une droitisation définitive de la droite ?
La déclaration de Nicolas Sarkozy arrive à un moment où Les Républicains sont plus divisés que jamais. Une partie des cadres (Éric Ciotti, Laurent Wauquiez) prône ouvertement la fin du « ni-ni » et des discussions avec le RN. Une autre (Xavier Bertrand, Bruno Retailleau) refuse toujours tout rapprochement.
L’intervention de l’ancien président, figure tutélaire malgré ses ennuis judiciaires, pourrait faire basculer durablement la balance.
À moins de deux ans de l’élection présidentielle de 2027, ce positionnement public change profondément la donne. Le Rassemblement national, qui caracole en tête des sondages, voit s’ouvrir une brèche historique à droite.
Ce que cela signifie concrètement
- Fin officielle du « front républicain » pour une partie importante de la droite historique
- Possibilité d’accords locaux ou nationaux entre LR et RN dès les prochaines élections
- Redéfinition complète du paysage politique français
- Renforcement de la stratégie de « normalisation » menée par Marine Le Pen et Jordan Bardella
Le tabou est tombé. Et il est tombé de la voix la plus légitime qui soit pour le faire tomber.
Le livre Le Journal d’un prisonnier sortira en librairie mercredi. Il risque de marquer un tournant aussi important que La France pour la vie en 2016 ou Témoignage en 2006. Mais cette fois, le message est radicalement différent.
La droite française entre dans une nouvelle ère. Et Nicolas Sarkozy, même affaibli judiciairement, reste celui qui donne le tempo.









