Imaginez une avocate respectée, spécialiste de la lutte contre la corruption, soudain arrêtée et placée derrière les barreaux. Sa santé se dégrade, mais personne n’a le droit d’en parler officiellement. C’est exactement ce qui arrive à Ruth López au Salvador, et l’ONG Amnesty International tire la sonnette d’alarme.
Une nouvelle intervention d’Amnesty International qui ne passe pas inaperçue
Mercredi dernier, Amnesty International a adressé une demande officielle à la procureure salvadorienne des droits humains. L’organisation réclame des visites régulières et indépendantes pour vérifier l’état de santé et les conditions de détention de Ruth López, cheffe de l’unité anticorruption de l’ONG Cristosal.
Arrêtée le 18 mai, l’avocate est poursuivie pour enrichissement illicite. Un chef d’accusation qui, pour beaucoup d’observateurs, apparaît comme une réponse politique plus que judiciaire à ses critiques répétées contre le président Nayib Bukele.
Un dossier placé sous réserve judiciaire : l’opacité totale
Dès le mois de juin, un tribunal salvadorien a décidé de classer l’affaire sous réserve judiciaire. Concrètement, cela signifie qu’aucune information détaillée ne peut être communiquée publiquement sur la procédure en cours.
Dans le même temps, les avocats de la défense ont signalé une dégradation « personnelle » de leur cliente, sans pouvoir entrer dans les détails. Le silence imposé renforce l’inquiétude des organisations de défense des droits humains.
« Des visites régulières et rigoureuses » sont nécessaires pour garantir l’état de santé, les conditions de détention et l’accès à la défense de Ruth López.
Lettre d’Amnesty International à la procureure Raquel Caballero
Raquel Caballero, une procureure sous le feu des critiques
La destinataire de la lettre, Raquel Caballero, occupe le poste de procureure des droits humains. Pourtant, de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer sa proximité avec le gouvernement en place.
Amnesty International lui demande expressément d’agir « de manière indépendante et autonome », sans se laisser influencer par des pressions extérieures. Un rappel à peine voilé : plusieurs ONG reprochent à l’institution qu’elle dirige de fermer les yeux sur les abus commis par l’État.
Dans ce contexte, la lettre prend une dimension presque symbolique : elle met en lumière le fossé qui sépare la théorie des droits humains et leur application concrète dans le Salvador d’aujourd’hui.
Ruth López déclarée prisonnière d’opinion
Le 1er juillet, Amnesty International a franchi un cap supplémentaire en qualifiant Ruth López de prisonnière d’opinion. Elle n’est pas la seule : l’avocat écologiste Alejandro Henríquez et le leader paysan José Ángel Pérez ont reçu la même designation.
Ces deux hommes ont été interpellés en mai après une manifestation près de la résidence présidentielle. Les chefs d’inculpation retenus – trouble à l’ordre public et résistance agressive – sont souvent utilisés pour museler les voix dissidentes.
Pour Amnesty, il ne fait aucun doute : ces trois personnes sont détenues uniquement pour leurs opinions et leur travail en faveur des droits humains.
Le régime d’exception, arme à double tranchant
Depuis 2022, le Salvador vit sous un régime d’exception renouvelé mois après mois. Officiellement destiné à combattre les gangs, ce dispositif suspend de nombreuses garanties constitutionnelles et autorise les arrestations sans mandat.
Le président Nayib Bukele, au pouvoir depuis 2019, jouit d’une popularité record grâce à la baisse spectaculaire de la criminalité. Mais le prix à payer est lourd : des milliers de personnes, souvent sans lien avec les gangs, se retrouvent derrière les barreaux.
Les organisations internationales dénoncent régulièrement des détentions arbitraires, des mauvais traitements en prison et un affaiblissement général de l’État de droit.
En résumé, le régime d’exception permet :
- Arrestations sans mandat judiciaire
- Détention provisoire prolongée
- Suspension de certains droits de la défense
- Contrôle accru des communications
Cristosal, une ONG dans le viseur
Cristosal, l’organisation où travaillait Ruth López, est l’une des plus actives dans la défense des droits humains au Salvador. Ses rapports critiques sur les violations commises sous le régime d’exception lui ont valu de nombreuses inimitiés au sein du pouvoir.
L’arrestation de sa responsable anticorruption n’est pas vue comme un hasard. Beaucoup y voient une tentative d’intimidation visant à faire taire une voix particulièrement gênante.
En ciblant les têtes pensantes des ONG, le message est clair : critiquer le gouvernement peut coûter cher, très cher.
Un cas qui illustre une tendance plus large
L’affaire Ruth López n’est malheureusement pas isolée. Depuis l’instauration du régime d’exception, les signalements de détentions arbitraires se multiplient. Des mères de famille, des jeunes sans casier judiciaire, des défenseurs des droits humains : les profils sont variés.
Ce qui unit ces cas, c’est souvent l’absence de preuves solides et la rapidité avec laquelle la justice prononce des mesures de détention provisoire.
Dans ce climat, la demande d’Amnesty International prend tout son sens : sans contrôle extérieur indépendant, rien ne garantit que les personnes détenues soient traitées humainement.
Pourquoi cette affaire nous concerne tous
Au-delà du Salvador, ce cas pose une question universelle : jusqu’où un État peut-il aller au nom de la sécurité sans basculer dans l’arbitraire ? La popularité de Nayib Bukele montre que beaucoup sont prêts à accepter un recul des libertés si la criminalité baisse.
Mais quand des avocats, des écologistes ou des leaders communautaires finissent en prison pour leurs idées, la ligne rouge est franchie. Et une fois franchie, il est souvent très difficile de faire marche arrière.
La santé de Ruth López, aujourd’hui, est bien plus qu’une affaire individuelle. Elle est le reflet d’un système où la critique devient un crime et où le silence s’achète au prix fort.
Suivra-t-on l’évolution de ce dossier ? La procureure Raquel Caballero répondra-t-elle à l’appel d’Amnesty ? Ou le silence continuera-t-il de régner sur les prisons salvadoriennes ? L’avenir nous le dira, mais une chose est sûre : le monde regarde.









