Imaginez deux chefs d’État africains censés se serrer la main début décembre à Washington pour tourner la page de décennies de guerre. Tout semblait prêt. Et pourtant, à quelques jours de la date supposée, l’un d’eux déclare publiquement que l’autre bloque tout. Cette scène, digne d’un thriller diplomatique, se joue en ce moment même entre le Rwanda et la République démocratique du Congo.
Un accord de paix qui patine depuis l’été
Fin juin, les ministres des Affaires étrangères rwandais et congolais paraphaient à Washington un accord de paix historique destiné à mettre fin au conflit qui ravage l’est de la RDC depuis trente ans. Quelques semaines plus tard, en juillet, Kinshasa et le mouvement rebelle M23 signaient même à Doha une déclaration en faveur d’un cessez-le-feu permanent. Sur le papier, tout était aligné.
Mais sur le terrain, rien n’a changé. Les armes continuent de parler. Goma et Bukavu restent sous contrôle du M23, accusé d’être soutenu par Kigali – accusation que le Rwanda a toujours niée avec la plus grande fermeté. Chaque camp rejette la faute sur l’autre pour les violations répétées du cessez-le-feu.
Les mots très durs de Paul Kagame
Jeudi, lors d’une longue conférence de presse, le président rwandais a brisé le silence. Son message était clair :
« Ce qui retarde la signature par les deux présidents, je vous l’assure, n’a rien à voir avec le Rwanda. »
Paul Kagame va plus loin. Selon lui, dès le lendemain de la signature ministérielle de juin, la RDC aurait introduit de nouvelles conditions totalement différentes de ce qui avait été convenu à Washington. Un schéma, dit-il, qui se répète systématiquement.
« C’est donc cela qui retarde les choses », a-t-il martelé, visiblement agacé par ce qu’il perçoit comme une mauvaise foi chronique de son voisin.
Une rencontre début décembre encore incertaine
Du côté congolais, on évoque toujours une possible signature « début décembre, peut-être le 4 », même si rien n’est officiellement confirmé. La présidence parle d’un calendrier encore ouvert.
Paul Kagame, lui, se montre beaucoup plus réservé : « Je ne suis pas sûr que nous allons nous rencontrer à Washington début décembre. » Puis, avec un soupçon d’ironie : « Nous devons attendre et continuer d’espérer. »
Cette divergence de ton illustre parfaitement le climat de défiance qui règne entre les deux capitales.
Les États-Unis tentent de maintenir la pression
Début novembre, après avoir constaté l’absence totale de progrès, Washington et Kigali publiaient un communiqué conjoint appelant les deux pays à « redoubler d’efforts » pour appliquer l’accord. Ils s’engageaient notamment à « s’abstenir de toute action ou rhétorique hostile ».
Quelques jours avant pourtant, Félix Tshisekedi dénonçait encore publiquement les « intentions belliqueuses et hégémoniques » du Rwanda. Le contraste est saisissant.
Le Qatar entre aussi dans la danse
Mi-novembre, un nouvel épisode s’ajoute au feuilleton. Kinshasa et le M23 signent au Qatar une feuille de route censée préparer un véritable accord de paix pour l’est congolais. Un pas supplémentaire… qui n’a toujours pas fait taire les canons.
On assiste donc à une multiplication des initiatives diplomatiques, toutes plus ambitieuses les unes que les autres, mais aucune ne parvient à enclencher un vrai processus de désescalade durable.
Pourquoi cet accord est-il si difficile à conclure ?
Plusieurs éléments permettent de comprendre ce blocage récurrent.
- La question du soutien présumé du Rwanda au M23 reste le principal point de friction. Kinshasa exige des garanties fermes avant toute signature présidentielle.
- Les intérêts économiques colossaux liés aux minerais du Kivu (coltan, or, cobalt) alimentent les convoitises et compliquent tout désengagement.
- La méfiance historique entre les deux pays, marquée par le génocide de 1994 et ses suites, pèse lourd dans chaque négociation.
- La pression internationale, bien que réelle, semble insuffisante pour forcer un compromis définitif.
Chaque avancée diplomatique se heurte ainsi à ces réalités de fond, rendant l’exercice particulièrement ardu.
Que se passera-t-il si la signature n’a pas lieu ?
Sans signature présidentielle, l’accord de Washington restera lettre morte. Le cessez-le-feu continuera d’être violé quotidiennement. Et la population de l’est congolais, déjà parmi les plus martyrisées au monde, continuera de payer le prix fort.
Les humanitaires parlent de plus de sept millions de déplacés, de massacres réguliers, d’enrôlements forcés. Un désastre humain qui ne semble émouvoir que très modérément les opinions publiques internationales.
Et pendant ce temps, les armes continuent de circuler, les minerais de continuer à être extraits, souvent dans l’illégalité la plus totale, et les grandes puissances de fermer les yeux sur l’origine douteuse de leurs smartphones.
Un espoir malgré tout ?
Malgré les déclarations cinglantes, personne n’a encore claqué définitivement la porte. La médiation américaine reste active. Le Qatar continue d’accueillir des discussions parallèles. Et les deux présidents, aussi irrités soient-ils, savent que la guerre par procuration a un coût exorbitant pour leurs pays respectifs.
Peut-être que début décembre, contre toute attente, les deux hommes se retrouveront dans un salon de Washington pour signer ce texte tant attendu. Ou peut-être que l’histoire se répétera, avec son lot de reports, de conditions nouvelles et d’accusations croisées.
Une chose est sûre : des millions de Congolais de l’Est retiennent leur souffle. Leur quotidien dépend, aujourd’hui plus que jamais, de la capacité de deux hommes à dépasser leurs rancœurs pour choisir enfin la paix.
Le temps presse. Chaque jour sans signature est un jour de trop pour les populations prises en étau entre les belligérants. La communauté internationale observera attentivement les prochaines semaines. Car au-delà des discours, seul le terrain dira si la paix a enfin une chance dans cette région martyre.
À suivre, donc. Très attentivement.









