Imaginez-vous à 10 ans, après l’école, vous connecter à votre jeu préféré pour retrouver vos amis virtuels et construire des mondes entiers. Et soudain, plus rien. L’écran affiche une erreur, le jeu est inaccessible. C’est exactement ce qui est arrivé à des millions d’enfants russes ce mercredi matin.
Roblox officiellement bloqué en Russie : les raisons invoquées
Le régulateur russe des médias, Roskomnadzor, a annoncé sans préambulle le blocage total de la plateforme Roblox sur l’ensemble du territoire. L’accusation est lourde : diffusion de contenus extrémistes et promotion de la « propagande LGBT ».
Mais ce n’est pas tout. Le communiqué officiel va plus loin et évoque des pratiques particulièrement graves : harcèlement sexuel sur mineurs, extorsion de photos intimes, incitation à des actes dépravés et à la violence. Des termes qui choquent et qui, selon les autorités, justifient une réaction immédiate.
Un succès fulgurant en Russie
Ce qui rend ce blocage d’autant plus marquant, c’est l’immense popularité de Roblox dans le pays. En 2023, l’application était tout simplement le jeu mobile le plus téléchargé en Russie. Des millions de jeunes y passaient des heures chaque jour.
À l’échelle mondiale, la plateforme revendique environ 100 millions d’utilisateurs quotidiens. Et le chiffre le plus parlant : près de 40 % d’entre eux ont moins de 13 ans. En Russie, cette proportion était probablement encore plus élevée.
Roblox n’était pas qu’un jeu. C’était un véritable phénomène social, un espace où les enfants créaient, partageaient, et parfois gagnaient même de l’argent avec leurs propres créations.
Que reproche exactement Moscou à la plateforme ?
Le communiqué de Roskomnadzor parle de « contenus inappropriés ayant un impact négatif sur le développement spirituel et moral des enfants ». Une formule large qui laisse place à de nombreuses interprétations.
« Les enfants dans le jeu sont soumis à du harcèlement sexuel, des photos intimes leur sont extorquées, et ils sont contraints de commettre des actes dépravés et des violences »
Cette phrase, tirée directement du communiqué officiel, a de quoi glacer le sang. Mais elle pose aussi question : ces pratiques sont-elles généralisées ou s’agit-il de cas isolés que toute plateforme ouverte au public peut malheureusement connaître ?
Roblox n’est pas le premier pays à réagir
La Russie n’est pas isolée dans sa décision. Plusieurs pays ont déjà pris des mesures contre Roblox, souvent pour des raisons similaires liées à la protection des mineurs.
- Le Qatar a interdit la plateforme
- L’Irak a suivi le même chemin
- La Turquie a également procédé à un blocage
- Aux États-Unis, les États du Texas et de la Louisiane ont engagé des poursuites judiciaires
Tous invoquent des problèmes de sécurité pour les enfants. Des préoccupations légitimes qui traversent les frontières et les systèmes politiques.
Les outils de modération de Roblox mis en cause
De son côté, Roblox Corporation a toujours affirmé mettre en place une modération rigoureuse. La plateforme combine des contrôles humains et des systèmes d’intelligence artificielle pour filtrer les contenus et les comportements inappropriés.
Malgré ces efforts, des cas de prédation sexuelle, de grooming et d’extorsion ont été rapportés dans de nombreux pays. Le modèle même de Roblox – des millions d’expériences créées par les utilisateurs – rend la modération totale extrêmement complexe.
Un jeu sur la plateforme peut être parfaitement innocent aujourd’hui… et contenir demain des éléments problématiques ajoutés par un utilisateur mal intentionné.
Un blocage qui s’inscrit dans une stratégie plus large
Il serait naïf de voir dans ce blocage une simple mesure de protection de l’enfance. En Russie, l’accès à internet est de plus en plus contrôlé. Ces dernières années, de nombreuses plateformes occidentales ont été limitées ou carrément interdites.
Ce n’est d’ailleurs pas la première menace récente. La semaine dernière, le même Roskomnadzor évoquait la possibilité d’interdire WhatsApp, accusé de ne pas suffisamment lutter contre la criminalité.
Derrière les justifications officielles, de nombreux observateurs y voient une volonté plus large de contrôler l’information et les espaces de socialisation en ligne, particulièrement ceux fréquentés par la jeunesse.
Les premières réactions des utilisateurs russes
Dès les premières heures du blocage, les sites de suivi des interruptions internet ont enregistré un pic massif de signalements concernant Roblox. Les enfants et adolescents russes découvraient l’impossibilité de se connecter.
Sur les réseaux encore accessibles, les messages de déception et d’incompréhension se multipliaient. Pour beaucoup, Roblox représentait bien plus qu’un simple jeu : c’était un espace de créativité, d’amitié, parfois même le début d’une vocation de développeur.
Que va faire Roblox Corporation ?
À l’heure où ces lignes sont écrites, la société américaine n’a pas encore réagi officiellement. Va-t-elle tenter un dialogue avec les autorités russes ? Proposer des mesures spécifiques pour le marché russe ? Ou simplement accepter la perte de millions d’utilisateurs ?
L’histoire récente montre que les plateformes américaines préfèrent souvent se retirer plutôt que de se plier à des exigences qu’elles jugent contraires à leurs valeurs ou trop complexes à mettre en œuvre.
Les alternatives qui pourraient émerger
Ce vide laissé par Roblox pourrait bien profiter à des plateformes locales ou à des acteurs d’autres pays moins regardants sur la censure. La Russie a déjà vu émerger des équivalents nationaux pour remplacer Instagram, YouTube ou Twitter.
Il ne serait pas surprenant de voir apparaître dans les mois qui viennent un « Roblox russe », développé selon les exigences des autorités et parfaitement intégré dans l’écosystème numérique national.
Un signal fort envoyé à toute l’industrie du jeu vidéo
Au-delà du cas Roblox, ce blocage envoie un message clair à tous les géants du gaming : aucun n’est à l’abri. Même une plateforme aussi populaire et apparemment innocente peut se retrouver dans le collimateur des autorités.
La protection des enfants est un argument difficilement contestable. Mais il peut aussi servir à justifier des mesures beaucoup plus larges de contrôle et de censure.
Entre sécurité des mineurs et liberté d’expression, le curseur est de plus en plus difficile à placer. Et chaque pays semble choisir sa propre réponse, parfois au détriment des enfants qu’il prétend protéger.
En résumé : ce qui semblait être un simple jeu pour enfants est devenu, en quelques heures, le symbole d’un bras de fer entre une plateforme américaine et un État qui entend contrôler son espace numérique. Derrière les accusations graves, c’est toute la question de la régulation d’internet qui est posée. Et les premiers à en payer le prix, comme souvent, ce sont les enfants.
La partie n’est peut-être pas totalement terminée pour Roblox en Russie. Mais une chose est sûre : l’époque où les plateformes occidentales pouvaient opérer librement sur le marché russe semble définitivement révolue.









