Derrière chaque grand homme se cache une femme, dit-on. Mais au Nicaragua, la première dame Rosario Murillo ne se contente pas de se tenir dans l’ombre de son mari, le président Daniel Ortega. Véritable éminence grise du régime, cette poétesse devenue politicienne vient d’accéder officiellement au rang de coprésidente, suite à une réforme constitutionnelle adoptée vendredi. Un couronnement pour celle qui, de l’aveu même des proches du pouvoir, tient les rênes du pays d’une main de fer.
De la poésie à la politique
Née en 1951 dans une famille aisée de Managua, Rosario Murillo se destine initialement à une carrière littéraire. Dès 1973, elle publie ses premiers poèmes dans les colonnes du quotidien La Prensa. Mais très vite, la jeune femme se laisse gagner par la fièvre révolutionnaire qui s’empare de l’Amérique centrale. Elle rejoint les rangs du Front sandiniste de libération nationale (FSLN), une guérilla marxiste qui combat la dictature d’Anastasio Somoza.
C’est depuis son exil au Venezuela que Rosario Murillo lie son destin à celui de Daniel Ortega, lui aussi militant sandiniste. Le futur couple présidentiel se rencontre autour de leurs écrits : Ortega, emprisonné par le régime de Somoza, a lu et apprécié les poèmes de celle qui deviendra sa compagne de route et de lutte.
L’ascension vers le pouvoir
Le triomphe de la révolution sandiniste en 1979 propulse Daniel Ortega à la tête du Nicaragua, qu’il dirigera jusqu’en 1990. Durant cette décennie, l’influence de Rosario Murillo ne cesse de croître au sein du régime. Mais lorsque son mari perd le pouvoir au profit de Violeta Chamorro, l’ancienne guérillera se fait plus discrète, se consacrant à l’écriture et à sa famille.
Le retour aux affaires de Daniel Ortega en 2007 marque un tournant. D’abord dans l’ombre, Rosario Murillo s’impose progressivement comme la véritable numéro deux du régime. En charge de la communication, elle devient l’unique porte-parole du gouvernement, apparaissant aux côtés de son époux lors de chacune de ses interventions. Son emprise se renforce encore en 2017, lorsqu’elle accède officiellement au poste de vice-présidente.
La grande prêtresse du régime
Plus qu’une simple femme de pouvoir, Rosario Murillo est devenue au fil des années l’égérie mystique d’un régime qui mêle étroitement politique et ésotérisme. Adepte du New Age, la « coprésidente » est célèbre pour ses tenues bariolées, ses bijoux hippies et ses envolées lyriques parsemées de références bibliques.
Dans le même discours, elle prêche “l’amour et la réconciliation” et cloue au pilori les opposants, qualifiés de “vampires assoiffés de sang”.
Un contraste saisissant qui n’est pas sans rappeler celui qui caractérise le régime : d’un côté, une rhétorique mystique de paix et d’harmonie ; de l’autre, une politique répressive qui n’hésite pas à réprimer brutalement toute contestation, comme lors des manifestations de 2018.
Une esthétique kitsch à son image
Au-delà de la politique, Rosario Murillo a imposé au fil des années son esthétique si particulière à l’ensemble du Nicaragua. Du rose bonbon, sa couleur fétiche, partout dans la capitale Managua : sur les bâtiments officiels comme sur les ronds-points, ornés d’imposantes structures métalliques aux couleurs criardes, surnommées « arbres de vie » par la première dame.
Un kitsch assumé qui a fini par cristalliser la colère d’une partie de la population, excédée par l’omniprésence de celle que beaucoup surnomment « la sorcière ». Lors des manifestations antigouvernementales de 2018, plusieurs de ces « arbres de vie » ont ainsi été pris pour cible et déboulonnés par les contestataires.
Une fin de règne qui s’annonce agitée
À 73 ans, Rosario Murillo semble plus que jamais déterminée à conserver les rênes du pouvoir, épaulant un Daniel Ortega vieillissant et de plus en plus contesté. Accusé de dérive autoritaire, le couple présidentiel doit faire face à une opposition qui, bien que muselée, reste vivace, ainsi qu’à une communauté internationale de plus en plus critique.
Dans ce contexte, l’adoption de la réforme constitutionnelle instaurant une « coprésidence » apparaît comme une tentative de verrouiller encore un peu plus le régime. Une manœuvre qui ne suffira peut-être pas à apaiser la colère qui gronde au Nicaragua, après plus de 15 ans d’un pouvoir Ortega-Murillo qui semble aujourd’hui à bout de souffle.
Tout le Nicaragua bruit de rumeurs sur ses prétendus pouvoirs magiques. Elle est décrite comme “superstitieuse” par la poétesse Gioconda Belli, qui fut son amie dans la lutte contre la dictature de Somoza.
Au crépuscule d’un long règne sans partage, Rosario Murillo, poétesse mystique devenue femme de fer du régime, va-t-elle réussir à maintenir sous son emprise un pays qui semble lui échapper chaque jour un peu plus ? L’avenir du Nicaragua, entre ésotérisme et autoritarisme, est plus que jamais suspendu aux humeurs et aux ambitions de celle que beaucoup considèrent désormais comme la véritable présidente du pays.