Imaginez une salle plongée dans l’obscurité, où résonnent les notes lugubres d’un morceau d’Iggy Pop. Soudain, des silhouettes spectrales émergent, drapées dans des vêtements aux allures de costumes post-apocalyptiques, défiant toute norme esthétique. C’est l’univers de Rick Owens, un créateur qui ne se contente pas de faire de la mode, mais qui sculpte des récits visuels, à la croisée du gothique, du punk et du transhumanisme. À l’occasion d’une rétrospective au Palais Galliera, partons à la découverte de cet artiste inclassable, dont l’influence redéfinit les frontières de la mode contemporaine.
Rick Owens : L’Architecte du Sombre
Quand on parle de Rick Owens, on ne parle pas seulement de vêtements. On évoque une vision, un univers où chaque défilé est une performance, un manifeste artistique. Né à Porterville, en Californie, ce créateur américain s’est imposé comme une figure incontournable de la mode mondiale, non pas en suivant les tendances, mais en les défiant. Installé à Paris depuis 2003, il a transformé l’ancien siège d’un parti politique en un espace de création hybride, mêlant salons Empire et béton brut, à l’image de son esthétique glunge – un terme qu’il affectionne, fusion de glamour et de grunge.
Sa rencontre avec Michèle Lamy, sa muse et partenaire, est le point de départ d’une aventure qui transcende la mode. Cette Française, ancienne avocate devenue entrepreneuse, a vu en Owens un potentiel brut. Ensemble, ils ont fondé une marque en 1994, bâtie sur l’idée que la mode peut être un médium pour explorer l’étrange, l’inquiétant, et le sublime.
Un Univers Gothique et Futuriste
Les défilés de Rick Owens ne ressemblent à rien d’autre. Ils sont des expériences immersives, où les mannequins, souvent maquillés de blanc crayeux ou portant des lentilles occultant leurs iris, évoquent des créatures d’un autre monde. Lors de son dernier show automne-hiver 2025-2026 au Palais de Tokyo, les spectateurs ont été transportés dans une ambiance digne d’un film de science-fiction gothique, avec des silhouettes juchées sur des chaussures aux semelles évoquant des pattes d’animaux. Ce n’est pas juste de la mode, c’est une plongée dans un imaginaire où le morbide flirte avec la beauté.
« Chez Rick, le vêtement n’est pas simplement destiné à être porté : il fait référence à l’architecture et à l’histoire. »
Mathieu Paris, galeriste et ami du créateur
Cet univers s’inspire de références aussi variées que la littérature française du XIXe siècle, notamment Joris-Karl Huysmans et son roman Là-bas, ou encore les peintures oniriques de Gustave Moreau. Owens puise dans l’occultisme, le spiritisme, et une forme de romantisme noir pour créer des pièces qui semblent venues d’un autre temps, tout en étant résolument modernes.
Michèle Lamy : La Muse Pygmalion
Aucune histoire sur Rick Owens ne serait complète sans parler de Michèle Lamy, l’âme sœur et collaboratrice qui a façonné sa carrière. Originaire d’Oyonnax, en France, cette femme au charisme magnétique a abandonné le droit pour se lancer dans la restauration et la mode à Los Angeles. C’est là qu’elle rencontre Owens, alors jeune patronnier, et décide de faire de lui une icône. Leur relation, autant personnelle que professionnelle, est au cœur de la marque.
Michèle Lamy n’est pas seulement une partenaire : elle est une force créative à part entière. Avec son allure de sorcière chic, ses lunettes noires et ses vêtements sombres, elle incarne l’esthétique glunge qu’ils ont créée ensemble. Leur installation à Paris, dans un immeuble chargé d’histoire, symbolise leur volonté de s’ancrer dans un lieu où l’ancien et le moderne cohabitent.
Les ingrédients du style Owens-Lamy :
- Une esthétique sombre, inspirée du gothique et du punk.
- Des matières brutes, comme le cuir tanné ou le feutre, sublimées.
- Des silhouettes oversized, défiant les conventions du corps.
- Une scénographie théâtrale, où chaque défilé est une performance.
Une Rétrospective au Palais Galliera
À partir du 28 juin, le Palais Galliera, musée dédié à la mode, rend hommage à Rick Owens avec une exposition intitulée Temple of Love. Cette rétrospective, conçue par le créateur lui-même, retrace son parcours, des débuts à Los Angeles aux collections les plus récentes. Elle s’étend même à la façade et au jardin du musée, transformant l’espace en une extension de son univers.
Les visiteurs pourront découvrir des pièces iconiques, comme les manteaux en cuir aux allures draculesques ou les bottes à franges évoquant un bestiaire fantastique. L’exposition mettra également en lumière son approche unique des matériaux : chez Owens, le feutre, matière modeste, devient noble, tandis que des tissus luxueux sont malmenés, bouillis ou teintés pour créer une tension entre confort et élégance.
« Rick sait tout faire. Il peut concevoir un vêtement de A à Z, un savoir-faire rare aujourd’hui. »
Alexandre Samson, commissaire scientifique de l’exposition
Une Vie entre Paris, Venise et Concordia
Si Paris est le cœur créatif de Rick Owens, l’Italie joue un rôle clé dans sa production. À Concordia, une petite ville d’Émilie-Romagne, ses créations prennent vie dans un complexe technologique où il réside également. Son appartement, avec son sol en travertin et ses meubles en vison, reflète son goût pour une sophistication brute. Un sarcophage égyptien trône à l’entrée, tandis que sa bibliothèque regorge d’ouvrages de Montesquiou et Wilde, témoins de son amour pour la décadence littéraire.
Venise, où il possède un appartement avec Michèle Lamy, est une autre source d’inspiration. Leur barge, la Bargenale, amarrée lors de la Biennale, est devenue un lieu de rencontre pour artistes et créateurs, de Virgil Abloh à A$AP Rocky. Ce projet illustre leur capacité à transformer chaque espace en une œuvre d’art vivante.
L’Art de Transgresser les Normes
Ce qui distingue Rick Owens, c’est son rejet des conventions. Ses défilés ont souvent choqué, comme lorsqu’il a fait défiler des mannequins masculins dévoilant leur anatomie, brisant les tabous de la mode. Ses créations, qu’il s’agisse de colliers en boules de geisha ou de vestes en cuir aux coupes radicales, interrogent la fonction même du vêtement. Pour lui, la mode est un médium artistique, au même titre que la peinture ou l’architecture.
Son approche du design est également unique. Il mélange des influences aussi diverses que l’Art déco, les rampes de skate de Los Angeles, ou encore les travaux de Le Corbusier et Eileen Gray. Le contreplaqué, matériau simple, est traité avec la même minutie qu’une marqueterie précieuse, prouvant que la beauté peut naître de l’ordinaire.
| Étape clé | Année | Description |
|---|---|---|
| Fondation de la marque | 1994 | Rick Owens et Michèle Lamy créent la marque à Los Angeles. |
| Installation à Paris | 2003 | Le couple s’installe place du Palais-Bourbon, dans un espace hybride. |
| Rétrospective Galliera | 2025 | Exposition Temple of Love au Palais Galliera, célébrant l’œuvre d’Owens. |
Une Vie d’Excentricité et de Discipline
Derrière l’image de rebelle, Rick Owens mène une vie presque monacale. Ses journées sont rythmées par une discipline rigoureuse : rendez-vous à 11 heures précises, sieste quotidienne, et séances de musculation. Pourtant, il sait aussi s’abandonner à l’excentricité, comme lorsqu’il rejoint Michèle Lamy à 3 heures du matin dans une boîte parisienne pour écouter un DJ expérimental.
« Le secret, c’est de dormir avant, de mettre son réveil et d’avaler un expresso bien serré avant d’appeler un taxi. »
Rick Owens, à propos de ses nuits parisiennes
Sa fille adoptive, Scarlett Rouge, offre un regard intime sur cet homme complexe. Enfant, elle se souvient de moments cocasses, comme ce jour où Owens, distrait, exposait involontairement ses attributs sur un marché vintage. Ces anecdotes révèlent une humanité derrière la figure de l’artiste, un homme à la fois réservé et audacieux.
L’Héritage d’un Visionnaire
Rick Owens ne se contente pas de créer des vêtements. Il redéfinit ce que la mode peut être : un espace de liberté, d’expérimentation, et de réflexion sur le monde. Ses défilés, ses meubles, et même ses collaborations artistiques, comme avec la galerie White Cube, montrent une volonté de repousser les limites. Son influence s’étend bien au-delà de la mode, touchant l’architecture, le design, et l’art contemporain.
En célébrant Rick Owens, le Palais Galliera ne met pas seulement en lumière un créateur, mais un mouvement. Un mouvement qui célèbre l’individualité, la transgression, et la beauté dans ce qu’elle a de plus inattendu. Alors que l’exposition Temple of Love s’apprête à ouvrir ses portes, une question demeure : jusqu’où ce guerrier de la mode nous emmènera-t-il ?
Pourquoi Rick Owens fascine :
- Une esthétique unique, mêlant gothique et futurisme.
- Des défilés qui transcendent la mode pour devenir art.
- Un rejet des conventions, célébrant l’individualité.
- Une collaboration fusionnelle avec Michèle Lamy.
- Une influence qui s’étend à l’architecture et au design.
