Imaginez un monde où votre stablecoin préféré doit respecter exactement les mêmes règles qu’une banque traditionnelle. Plus de zones grises, plus de « on verra plus tard ». C’est exactement le message que la Federal Reserve s’apprête à marteler au Congrès américain.
Michelle Bowman veut mettre tout le monde au même régime
Ce mardi 2 décembre 2025, la gouverneure de la Fed, Michelle Bowman, doit témoigner devant la commission des services financiers de la Chambre des représentants. Et son discours est clair : l’innovation dans les paiements numériques est bienvenue, mais elle doit se faire dans un cadre strict de sécurité et de solidité financière.
Derrière les mots policés, le message est brutal : les émetteurs de stablecoins qui veulent jouer dans la cour des grands devront se plier aux mêmes exigences que les banques. Réserves intégrales en dollars, normes de capital, diversification… rien ne sera laissé au hasard.
Le Genius Act, la loi qui change tout
Adoptée récemment, cette législation impose déjà aux émetteurs de stablecoins de s’enregistrer officiellement et de détenir des réserves dollar pour dollar. Mais pour Michelle Bowman, ce n’est qu’un début.
Elle appelle maintenant à aller plus loin : travailler avec les autres régulateurs pour définir des standards de capital et de diversification spécifiques aux stablecoins. En clair, même si vous êtes une fintech ultra-moderne, vous devrez constituer des fonds propres comme une banque centenaire.
« En tant que régulateur, mon rôle est d’encourager l’innovation de manière responsable et d’améliorer constamment notre capacité à superviser les risques pour la sécurité et la solidité que l’innovation présente. »
Michelle Bowman, gouverneure de la Fed
Cette citation résume parfaitement la philosophie : oui à la concurrence, non à l’anarchie réglementaire.
La guerre des chartes bancaires
Au cœur du débat : l’accès aux chartes bancaires. Pour les entreprises crypto, obtenir une licence bancaire nationale serait le graal : légitimité instantanée, accès direct au système financier, possibilité d’offrir des services complets.
Pour les banques traditionnelles ? Une menace existentielle. Elles craignent qu’on distribue ces précieuses licences comme des bonbons, créant des institutions « light » qui profiteraient des avantages sans les contraintes.
Michelle Bowman se positionne en arbitre : elle veut une concurrence saine, mais pas au prix de la stabilité du système. Traduction : si vous voulez les privilèges d’une banque, assumez aussi ses obligations.
Basel III : le retour du débat sur le capital
En parallèle, la gouverneure doit faire le point sur la réforme tant attendue du cadre de Bâle III, surnommée « Basel III Endgame ». Ce projet, qui vise à renforcer les exigences de capital des grandes banques, traîne depuis des années.
Bowman insiste sur une approche « bottom-up » : calibrer les règles en fonction des risques réels, pas en partant d’un objectif prédéterminé de hausse du capital. Un message qui devrait rassurer les grandes banques américaines, vent debout contre la version initiale jugée trop punitive.
En résumé, la position de la Fed se dessine clairement :
- Encourager l’innovation technologique dans les paiements
- Mais imposer les mêmes garde-fous qu’aux banques traditionnelles
- Refuser toute forme de « régulation light » pour les acteurs crypto
- Travailler à un terrain de jeu équitable, mais sécurisé
Quelles conséquences pour l’écosystème crypto ?
La question brûlante : cette ligne dure va-t-elle étouffer l’innovation ou, au contraire, légitimer définitivement les stablecoins auprès des institutions ?
Pour les grands émetteurs comme Circle (USDC) ou Tether (USDT, même s’il reste offshore), se conformer à ces nouvelles règles pourrait être coûteux… mais aussi transformer leur stablecoin en véritable produit bancaire grand public.
Pour les plus petits acteurs ou les projets décentralisés, l’équation devient beaucoup plus compliquée. Comment constituer des fonds propres conséquents quand on n’a pas les reins solides d’une banque ?
Un tournant historique pour la finance numérique
Ce qui se joue aujourd’hui dépasse largement le cadre technique. C’est toute la philosophie de la régulation crypto qui est en train de basculer : on passe d’une approche « wait and see » à une intégration forcée dans le système financier traditionnel.
Pour beaucoup d’observateurs, c’est exactement ce qu’il fallait : donner aux stablecoins la crédibilité nécessaire pour devenir des infrastructures de paiement globales. Pour d’autres, c’est la fin du rêve libertarien d’une finance parallèle et décentralisée.
Une chose est sûre : les prochains mois seront décisifs. Le Congrès va devoir trancher entre deux visions radicalement différentes de l’avenir de l’argent numérique.
Et demain ?
Si la ligne Bowman l’emporte, on pourrait assister à une consolidation massive du secteur : seuls les acteurs capables de respecter des exigences bancaires survivront. Les autres devront soit disparaître, soit se replier sur des juridictions plus clémentes.
Mais paradoxalement, cette régulation stricte pourrait être le plus beau cadeau fait aux stablecoins : en les plaçant sous le même régime que les banques, elle leur donnerait une légitimité définitive auprès des institutions, des entreprises et du grand public.
Comme souvent dans la crypto, la contrainte pourrait se transformer en opportunité majeure.
Le message de Michelle Bowman est clair : l’avenir des stablecoins passe par la case banque. La question est maintenant de savoir qui sera prêt à payer le prix d’entrée.









