Imaginez un radar capable de scruter des centaines de kilomètres à la ronde, installé à seulement une dizaine de kilomètres des côtes vénézuéliennes. Depuis fin novembre, cet équipement américain est bel et bien opérationnel à Trinité-et-Tobago. Et les données qu’il collecte sont partagées en temps réel entre Washington et Port-d’Espagne.
Cette annonce, confirmée par le ministre de la Défense trinidadien lui-même, ravive les tensions déjà extrêmes dans la région des Caraïbes. Caracas y voit une menace directe, quand l’archipel insiste sur la lutte contre les trafics en tous genres. Entre déclarations officielles et sous-entendus géopolitiques, la situation mérite qu’on s’y arrête longuement.
Un radar opérationnel en un temps record
L’installation s’est déroulée dans une discrétion relative entre le 26 et le 27 novembre. Quelques jours seulement ont suffi pour rendre l’équipement pleinement fonctionnel. Un délai express qui en dit long sur l’urgence perçue par les deux capitales concernées.
Le ministre de la Défense, Wayne Sturge, l’a confirmé sans détour à l’AFP : « Les données sont partagées ». Une phrase courte, mais lourde de sens. Elle signifie que les autorités trinidadiennes ont accès, en direct, aux informations captées par ce système ultra-performant.
« Nos militaires auront accès à ces données »
Kamla Persad-Bissessar, Première ministre de Trinité-et-Tobago
Un emplacement stratégique à couper le souffle
Trinité-et-Tobago n’est pas n’importe quel point sur la carte. L’archipel se trouve à peine à une dizaine de kilomètres du littoral vénézuélien à son point le plus proche. Un bateau rapide peut franchir cette distance en quelques minutes seulement.
Le radar a été implanté sur la deuxième île du pays, Tobago, là où se concentrent les plages paradisiaques et les complexes touristiques. Un contraste saisissant : derrière les cocotiers et les eaux turquoise, un outil de surveillance militaire de dernière génération scrute désormais l’horizon.
Plusieurs avions militaires américains ont d’ailleurs atterri sur le tout nouvel aéroport de Tobago, encore non inauguré officiellement. Une activité inhabituelle qui n’est pas passée inaperçue des observateurs locaux.
Une coopération militaire qui s’intensifie rapidement
Le radar n’est que la partie émergée de l’iceberg. Fin octobre, le destroyer américain USS Gravely a déjà fait escale dans l’archipel. Quelques semaines plus tard, du 16 au 21 novembre, un contingent de Marines a mené des exercices conjoints avec les forces locales.
Certains de ces militaires américains seraient encore présents sur place. Un déploiement qui dépasse largement le cadre d’une simple visite de courtoisie et qui illustre la profondeur du partenariat sécuritaire entre Port-d’Espagne et Washington.
Chronologie express de l’escalade militaire
- Fin octobre : arrivée du destroyer USS Gravely
- 16-21 novembre : exercices avec les Marines américains
- 26-27 novembre : installation du radar
- Début décembre : annonce officielle de l’opérationnalité
Les justifications officielles de Trinité-et-Tobago
Pour la Première ministre Kamla Persad-Bissessar, l’objectif est clair : renforcer la sécurité nationale face à des menaces bien réelles. Elle évoque ouvertement le contournement des sanctions pétrolières, le trafic de drogue, d’armes, de munitions et même la migration irrégulière en provenance du Venezuela.
Le nouveau système radar, explique-t-elle, permet de détecter ces activités illégales avec une précision jamais atteinte auparavant. Un argument qui trouve un écho particulier dans une île confrontée quotidiennement à l’arrivée de bateaux en provenance du continent.
Elle n’hésite pas à accuser l’opposition locale de fermer les yeux sur ces trafics orchestrés, selon elle, depuis le Venezuela. Un débat politique interne qui se superpose à la crise régionale.
Caracas dénonce une menace directe
Du côté vénézuélien, la réaction ne s’est pas fait attendre. Le gouvernement de Nicolas Maduro voit dans ce radar une pièce supplémentaire d’un dispositif visant à le destituer et à s’emparer des immenses réserves pétrolières du pays.
Depuis août, Washington maintient effectivement une présence militaire renforcée dans les Caraïbes. Officiellement, il s’agit de lutter contre le narcotrafic à destination des États-Unis. Mais Caracas y voit une tout autre intention.
La colère vénézuélienne s’est traduite par une mesure concrète : l’annulation pure et simple des accords gaziers avec Trinité-et-Tobago. Un coup dur pour l’économie de l’archipel qui comptait sur ces ressources pour développer son propre secteur énergétique.
Le poids persistant des sanctions pétrolières
Il faut rappeler le contexte. En 2019, lors de son premier mandat, Donald Trump avait imposé un embargo total sur le pétrole vénézuélien. Ces sanctions ont été maintenues et même renforcées depuis son retour au pouvoir.
Le radar installé à Trinité-et-Tobago participe directement à l’application de ces mesures. Il permet de repérer les navires qui tenteraient de contourner l’embargo en transportant du brut vénézuélien sous pavillon de complaisance ou via des transbordements discrets.
Depuis septembre, les États-Unis ont d’ailleurs procédé à une vingtaine d’opérations contre des embarcations suspectées de narcotrafic dans les Caraïbes et le Pacifique. Le bilan : 87 morts. Des chiffres qui témoignent de la détermination américaine dans la région.
Une Première ministre sur la ligne de front verbale
Kamla Persad-Bissessar n’a pas mâché ses mots ces dernières semaines. Elle a multiplié les déclarations hostiles à l’encontre du pouvoir vénézuélien, tout en prenant soin de préciser une chose essentielle : Washington n’a jamais demandé à utiliser l’archipel comme base pour des attaques directes contre Caracas.
Cette nuance est importante. Elle permet à Trinité-et-Tobago de se présenter comme un partenaire responsable, concentré sur sa propre sécurité, et non comme un tremplin pour une intervention militaire américaine.
Malgré tout, la frontière entre coopération défensive et provocation reste ténue. Et chaque nouvelle annonce ravive les craintes d’une escalade incontrôlable.
Quelles conséquences à moyen terme ?
La mise en service de ce radar change la donne dans les Caraïbes orientales. Les mouvements maritimes et aériens en provenance du Venezuela sont désormais scrutés comme jamais. Cela pourrait compliquer sérieusement les tentatives de contourner les sanctions.
Pour Trinité-et-Tobago, c’est une forme de bouclier technologique contre les trafics. Pour Caracas, c’est une nouvelle entrave à sa survie économique. Et pour Washington, un moyen supplémentaire de maintenir la pression sur le régime de Nicolas Maduro.
Dans ce triangle tendu, chaque déclaration, chaque mouvement militaire est scruté à la loupe. Le radar de Tobago n’est peut-être qu’un équipement parmi d’autres, mais il cristallise aujourd’hui toutes les tensions d’une région où la géopolitique et la survie quotidienne se mêlent étroitement.
Une chose est sûre : les prochaines semaines risquent d’être décisives. Entre annonces officielles, réactions épidermiques et intérêts stratégiques, les Caraïbes n’ont clairement pas fini de faire parler d’elles.









