Le Bangladesh retient son souffle alors qu’un procès historique pour crimes contre l’humanité s’ouvre à Dacca. Au banc des accusés : l’ancien chef de la police Chowdhury Abdullah Al-Mamun et sept hauts gradés, dont le sulfureux général Ziaul Ahsan qui dirigeait les redoutées forces spéciales. Leur crime présumé ? La répression sanglante des grandes manifestations étudiantes de l’été dernier, qui a précipité la chute du régime autoritaire de Sheikh Hasina.
D’après le procureur Mohammad Tajul Islam, les atrocités commises sous les ordres d’Al-Mamun auraient fait jusqu’à 2000 morts parmi les jeunes protestataires et des milliers de mutilés. Un bilan terrifiant qui classe d’emblée ce procès parmi les plus importants de l’histoire récente du pays. Les chefs d’accusation donnent le vertige : massacres, génocide, crimes contre l’humanité. Rien que ça.
Le spectre des pires heures de l’ex-Yougoslavie
Pour mesurer la gravité des faits reprochés au général Ahsan, le procureur n’a pas hésité à convoquer les fantômes de la guerre dans les Balkans. Selon lui, le dirigeant des forces spéciales ne serait ni plus ni moins qu’un «boucher» de la trempe des tristement célèbres Mladic et Karadzic. Deux noms qui résonnent encore douloureusement près de 30 ans après le conflit yougoslave et les massacres de Srebrenica.
Impassible dans le box, Ahsan a pourtant clamé son innocence : «Je n’étais pas responsable du centre de détention secret et je n’ai jamais fait surveiller personne». Une ligne de défense guère convaincante au vu de son poste à l’époque.
L’ombre des exactions plane sur la police
Mais le général déchu n’est pas le seul sur la sellette. Sept de ses collègues officiers supérieurs sont eux aussi dans le collimateur de la justice. Au menu des réjouissances : meurtres de manifestants et crémations sauvages des corps pour maquiller les preuves. Des méthodes expéditives et brutales qui en disent long sur le climat de terreur qui régnait au sein des forces de l’ordre.
Signe que les langues commencent à se délier, un ex-chef de commissariat a pris la parole pour supplier les juges : «J’ai soutenu les manifestations, s’il vous plaît épargnez-moi !». Pas sûr que ce tardif retournement de veste suffise à attendrir le tribunal.
Le régime Hasina rattrapé par ses vieux démons
Ce procès fleuve qui s’annonce promet en tout cas de faire resurgir les heures les plus sombres de «l’ère Hasina». Pendant ses 15 années au pouvoir entrecoupées d’une parenthèse, la «Dame de fer» du Bangladesh s’est taillé une solide réputation de dirigeante implacable.
Elle est accusée d’avoir fait exécuter, enlever ou emprisonner des centaines d’opposants dans un mystérieux centre de détention tenu secret.
Selon une source proche du dossier
Jusqu’à son renversement et son exil en catastrophe en Inde le 5 août dernier à 77 ans, celle qui a régné sans partage n’a eu de cesse d’étouffer toute contestation dans l’œuf. Quitte à ordonner la manière forte et à couvrir les dérapages de ses hommes de main. Des dérives qui la rattrapent aujourd’hui devant les tribunaux.
D’ex-ministres dans le box des accusés
En attendant, la purge bat son plein dans les allées du pouvoir déchu. Pas moins de 11 anciens ministres et hauts fonctionnaires ont déjà été traînés devant les juges pour répondre des mêmes crimes que la soldatesque. Preuve que la gangrène de la violence d’État avait contaminé au plus haut niveau.
Mais comme l’a martelé lundi le procureur général, «personne n’est au-dessus des lois». Pas même les puissants d’hier, fussent-ils retranchés dans leur exil doré. Le Bangladesh a officiellement demandé à l’Inde d’extrader les fuyards pour qu’ils rendent des comptes. Le compte à rebours judiciaire est lancé.
Ce procès à tiroirs multiples qui se profile a tout du grand déballage cathartique. Comme si le pays cherchait à tourner définitivement la page de ses années de plomb en rejouant son histoire récente devant une cour martiale géante.
Les familles des victimes, elles, n’attendent qu’une chose : que justice soit enfin rendue et que les bourreaux paient pour leurs crimes. Un indispensable travail de mémoire pour panser les plaies béantes d’une nation meurtrie. Mais aussi un signal fort envoyé à tous les apprentis dictateurs de la région : les peuples n’oublient pas et le jugement de l’Histoire finit toujours par frapper.