Ce lundi matin marque un tournant dans le procès hors norme des viols de Mazan qui secoue la France depuis maintenant plus de trois mois. Après d’interminables semaines d’audiences éprouvantes, les 51 hommes accusés d’avoir violé pendant une décennie Gisèle Pelicot, à son domicile conjugal du Vaucluse, auront une ultime occasion de s’exprimer devant la cour criminelle avant que celle-ci ne se retire pour délibérer.
Selon des sources proches du dossier, le premier à prendre la parole devrait être Dominique Pelicot, 72 ans, l’ex-mari de la victime considéré comme le « chef d’orchestre » de ce cauchemar. C’est lui qui est accusé d’avoir drogué son épouse aux anxiolytiques afin de la violer et de la livrer à des dizaines d’inconnus recrutés sur internet pendant de longues années.
Puis les 50 autres prévenus défileront tour à tour à la barre, qu’ils comparaissent libres ou depuis le box des accusés pour les 18 d’entre eux actuellement détenus. Parmi eux, Jean-Pierre M., 63 ans, sera particulièrement scruté. Seul à ne pas être poursuivi directement pour des faits sur Mme Pelicot, il est soupçonné d’avoir reproduit le même schéma de soumission chimique, avec la complicité de Dominique Pelicot, sur sa propre femme.
Des prises de parole strictement encadrées
Mais que ces dernières interventions des mis en cause ne s’apparentent pas à une tribune libre, le président de la cour Roger Arata a tenu à recadrer les choses lors de la précédente audience :
Ce moment doit permettre à chaque accusé d’ajouter éventuellement un mot. Il ne s’agit pas de répéter ce qui a pu être plaidé par les avocats ces derniers jours. Il est évident que ce qui a déjà été dit serait répétitif et je pourrais dans ce cas couper l’intervention.
Les réquisitions du ministère public, étalées sur trois jours fin novembre, avaient été d’une sévérité rare, avec des peines allant jusqu’à 20 ans de réclusion criminelle réclamées contre Dominique Pelicot et de 10 à 18 ans pour ses co-accusés poursuivis pour viols aggravés. La cour suivra-t-elle ces recommandations, bien au-delà des condamnations moyennes pour ce type de crimes en France ? Où se laissera-t-elle fléchir par la trentaine de demandes d’acquittement plaidées par les avocats de la défense ?
Un procès pour l’Histoire
Au-delà des enjeux individuels, ce procès est devenu emblématique des questions de soumission chimique et de consentement qui agitent la société. Le verdict, qui pourrait créer une jurisprudence, est d’autant plus attendu qu’il interviendra dans un contexte post-#MeToo où la libération de la parole des victimes de violences sexuelles s’accompagne d’une exigence accrue de sanctions.
Pour rappel, les audiences avaient démarré le 2 septembre dernier dans un tribunal spécialement aménagé à Avignon afin d’accueillir cette procédure hors normes, entre nombre d’accusés, forte présence médiatique et durée d’audience inédite. Un dispositif qui aura permis de maintenir la sérénité des débats malgré la tension et l’émotion qui auront ponctué ces 14 semaines de procès.
Dernière ligne droite
Sitôt les ultimes déclarations des accusés entendues, la cour entrera donc dans sa dernière ligne droite : pas moins de trois jours de délibéré à huis clos sont prévus afin que les cinq magistrats professionnels prennent le temps de la réflexion sur ce dossier tentaculaire aux enjeux multiples.
Sauf imprévu, le verdict devrait être rendu jeudi matin. Mais le président Arata a d’ores et déjà prévenu que le prononcé pourrait être décalé « au jeudi après-midi ou au vendredi matin » si la cour avait besoin de temps supplémentaire. Un délai que les parties comme le public accepteront sans doute volontiers au regard de l’importance de la décision très attendue.
Car au-delà du sort judiciaire des accusés, nombre d’observateurs espèrent que ce procès exceptionnel marquera un tournant dans la prise en charge des victimes de violences sexuelles et la sanction de ces crimes encore trop souvent minimisés ou passés sous silence. Réponse d’ici quelques jours.