C’est un procès hors norme et particulièrement émouvant qui se déroule actuellement devant la cour d’assises spéciale de Paris. Huit personnes sont jugées pour leur implication à divers degrés dans l’attentat islamiste qui a coûté la vie à Samuel Paty, ce professeur d’histoire-géographie assassiné le 16 octobre 2020 pour avoir montré des caricatures de Mahomet lors d’un cours sur la liberté d’expression. Au coeur de ce drame, une famille dévastée qui réclame « vérité et justice ».
La mère de Samuel Paty, un témoignage vibrant d’émotion
Vendredi, c’est Bernadette Paty, 77 ans, ancienne enseignante elle aussi, qui s’est exprimée la première parmi les proches de la victime. D’une voix ferme malgré l’émotion, elle a dressé le portrait d’un fils « passionné par l’Histoire », « un élève sérieux, intelligent, respectueux ». « Samuel était un intellectuel, pas un croyant, mais très respectueux de toutes les religions » a-t-elle insisté, avant de rappeler qu’elle savait que son fils allait montrer ces fameuses caricatures de Charlie Hebdo pendant son cours, l’ayant préparé durant les vacances d’été. « Perdre notre fils car il a montré des dessins nous révulse ».
La compagne et les sœurs de Samuel Paty : un même appel à la justice
Dans le prétoire, Gabriel, 9 ans, le fils de Samuel Paty, écoute les paroles de sa grand-mère, aux côtés de sa mère Jeanne A., l’ex-compagne du professeur assassiné. Cette dernière a également pris la parole, réclamant à son tour « vérité et justice ». « L’injustice qui est arrivée à Samuel nous oblige à avancer sur un fil », a-t-elle déclaré d’une voix posée. Les deux sœurs de la victime, Mickaëlle et Gaëlle, ont quant à elles lancé aux accusés « Vous avez livré mon frère en pâture ». « J’aimerais dire aux accusés que sans vous, Samuel serait vivant. Chacun à votre niveau aurait pu arrêter cet engrenage funeste ».
L’islamisme radical en cause, pas les caricatures selon la famille
Pour la famille de Samuel Paty, la cause de ce drame est claire : « C’est l’islamisme qui est en cause et non des caricatures » a martelé Mickaëlle Paty. Une conviction partagée par l’ensemble des parties civiles qui pointent du doigt la responsabilité morale des huit accusés dans cet assassinat perpétré par un jeune réfugié russe tchétchène, Abdoullakh Anzorov, éliminé par les forces de l’ordre après son acte. Mais ce dernier, principal responsable, est le grand absent de ce procès. Ce qui n’empêche pas Bernadette Paty d’exiger que « la responsabilité de chaque accusé soit reconnue et que les peines soient à la hauteur ».
Un procès sous haute tension jusqu’au 20 décembre
Durant les cinq prochaines semaines et jusqu’au 20 décembre, la cour d’assises spéciale de Paris va donc devoir démêler le rôle exact de chacun des accusés dans la chaîne d’événements qui a conduit à la mort atroce de Samuel Paty. Des jeunes gens pour la plupart, à commencer par l’instigatrice de la cabale contre le professeur sur les réseaux sociaux : une collégienne de 13 ans qui s’était plainte que Samuel Paty avait demandé aux élèves musulmans de sortir de la classe lors de son cours sur les caricatures, ce qui s’est avéré faux. Sur le banc des accusés se trouvent aussi le père de cette adolescente ainsi qu’Abdelhakim Sefrioui, militant islamiste bien connu des services de renseignement. Tous deux avaient largement relayé les accusations mensongères de la collégienne contre le professeur, contribuant à mettre ce dernier dans le viseur des islamistes. Autres accusés : deux amis de l’assassin qui l’auraient accompagné pour acheter des armes, ainsi que trois lycéens accusés d’avoir désigné la victime à son meurtrier en échange d’une somme d’argent.
Un procès pour la liberté d’expression et contre l’obscurantisme
Au-delà de la responsabilité individuelle des accusés, c’est bien un procès de l’islamisme et de l’obscurantisme qui s’est ouvert à Paris. Un procès en défense de la liberté d’expression, Samuel Paty ayant payé de sa vie son attachement à transmettre à ses élèves les valeurs de la République, à leur faire comprendre l’importance de la liberté de la presse et du droit inaliénable à la satire et au blasphème. « Je me battrai jusqu’au bout pour que la liberté d’expression reste un de nos droits les plus précieux » avait-il écrit à sa hiérarchie quelques jours avant son assassinat, conscient des risques qu’il encourait. Des mots qui résonnent aujourd’hui avec une force particulière dans le prétoire de la cour d’assises et qui donnent tout son sens à la quête de justice de ses proches.
La liberté d’expression ne se négocie pas, elle ne se discute pas, elle ne s’interdit pas.
Samuel Paty
Un procès pour que jamais plus, en France, un enseignant ne risque sa vie en faisant son métier et en défendant nos libertés les plus fondamentales. Un procès qui, au-delà de la douleur et des larmes, doit aussi faire œuvre de pédagogie, comme l’aurait souhaité Samuel Paty. Pour qu’aucun enfant dans notre pays ne grandisse dans l’ignorance et la haine de l’autre. Pour que l’école reste ce sanctuaire de la République, ce creuset des valeurs qui nous unissent par-delà nos différences. Ce procès, c’est celui de Samuel Paty, martyr de la liberté d’expression. Mais c’est aussi le nôtre, celui de toute notre société qui doit plus que jamais réaffirmer son attachement indéfectible aux principes de la laïcité et de la tolérance. Face à l’obscurantisme, seule l’éducation peut nous sauver. Samuel Paty l’avait bien compris, lui qui a sacrifié sa vie sur l’autel de la transmission. À nous aujourd’hui d’être dignes de son héritage.