Les habitants du quartier de la Villeneuve à Grenoble ont été une nouvelle fois réveillés par des coups de feu en pleine nuit. Vers 22h30 ce mercredi 16 octobre, un homme de 28 ans a été visé par plusieurs tirs alors qu’il se trouvait dans une voiture, entre les numéros 110 et 120 de la galerie de l’Arlequin. Une scène malheureusement devenue presque banale dans ce quartier gangrené par le trafic de drogue et les règlements de compte.
Le quartier de la Villeneuve, un concentré des maux de la société
Construite dans les années 1970 pour loger en urgence les rapatriés d’Algérie et les travailleurs immigrés, la Villeneuve est rapidement devenue le symbole des difficultés de l’intégration et de la relégation sociale. Enclavé entre rocade et voie ferrée, ce quartier de 12 000 habitants concentre tous les indicateurs de la précarité : chômage, échec scolaire, délinquance, économie souterraine…
Malgré les rénovations urbaines et les dispositifs d’accompagnement social, la situation ne cesse de se dégrader. Les tensions communautaires sont exacerbées, les jeunes sont livrés à eux-mêmes, la police est vue comme une force d’occupation. Un contexte explosif sur lequel prospèrent les trafiquants de drogue, véritables « autorités » de substitution.
Des fusillades à répétition
Les échanges de tirs sont devenus monnaie courante à la Villeneuve, réglant les litiges liés au trafic ou des conflits d’ego exacerbés. Rien qu’en 2022, on dénombrait déjà 3 fusillades ayant fait plusieurs blessés. Les armes de guerre s’invitent au pied des immeubles, les drive de drogue fonctionnent au vu et au su de tous, les règlements de compte virent à la fusillade en pleine rue…
On a entendu une rafale de tirs, comme une kalachnikov. Puis les sirènes de police qui arrivent de partout. C’est devenu notre quotidien malheureusement.
— Un habitant de la Villeneuve
L’engrenage de la violence
Cette nouvelle fusillade soulève une fois de plus la question de l’engrenage de la violence dans lequel semble pris le quartier. Selon des sources proches de l’enquête, la victime serait connue des services de police pour des faits de petite délinquance. Était-elle visée pour des rivalités sur un point de deal, un différend personnel ? Avait-elle été prise pour cible par erreur ?
Au-delà du cas particulier, c’est toute la chaîne de la violence qu’il faut questionner. Comment des gamins en rupture en arrivent à vouloir régler leurs comptes à la kalachnikov ? Quelles sont les failles qui transforment un gamin turbulent en petit caïd ? Où se situe le point de bascule qui fait passer de l’incivilité au crime ?
Un constat d’échec des politiques publiques
Malgré les millions d’euros injectés dans des programmes de rénovation urbaine et de cohésion sociale, force est de constater que les résultats ne sont pas au rendez-vous. Les élus locaux, souvent dépassés, n’arrivent pas à endiguer les problèmes. Les services publics, sous-dimensionnés, peinent à faire face à l’ampleur des besoins.
On a l’impression que plus rien ne fonctionne. L’école n’arrive plus à donner des perspectives aux jeunes. Les associations sont débordées. La police est rejetée. Il faut absolument changer de logiciel si on veut éviter le pire.
— Un responsable associatif du quartier
Car c’est bien de cela dont il s’agit : quel avenir offre-t-on aux jeunes de ces quartiers abandonnés ? Comment redonner du sens et de l’espoir là où règnent résignation et loi du plus fort ? C’est tout un modèle d’intégration républicaine qu’il faut repenser.
Les pistes pour sortir de l’ornière
Alors que faire pour sortir de cette spirale infernale ? Plusieurs pistes sont régulièrement avancées par les acteurs de terrain :
- Renforcer massivement la présence des services publics dans les quartiers (écoles, police, justice, santé…)
- Soutenir les associations et les initiatives citoyennes qui créent du lien social
- Développer des dispositifs pour l’insertion professionnelle et l’entrepreneuriat des jeunes
- Lutter plus efficacement contre le trafic d’armes et les filières d’approvisionnement
- Restaurer la confiance entre jeunes et institutions (police, justice, école)
Tout cela nécessite une mobilisation coordonnée de l’État et des collectivités, avec des moyens à la hauteur. Pas seulement des effets d’annonce, mais un plan d’action sur la durée. Car il y a urgence à agir avant que la colère et le désespoir n’emportent tout sur leur passage.
Une ville sous le choc
En attendant, Grenoble reste meurtrie par cette nouvelle flambée de violence. La vie ne sera plus jamais comme avant pour les proches de la victime. Et les habitants de la Villeneuve continueront à vivre avec la peur au ventre, guettant les sirènes de police au moindre coup de feu.
C’est toute une ville qui est choquée et qui a mal ce matin. Il faut que cela cesse, on ne peut pas s’habituer à ça. Il faut se serrer les coudes et tout faire pour ramener la paix.
— Éric Piolle, maire EELV de Grenoble
Une paix bien fragile, à l’image des impacts de balles dans les murs de la galerie de l’Arlequin. Des stigmates d’une guerre qu’on voudrait voir disparaître à jamais. Pour que le quartier de la Villeneuve, et avec lui toute la ville de Grenoble, puisse enfin tourner la page de ces années noires.