En 2021, le président salvadorien Nayib Bukele annonçait en grande pompe son projet de construire Bitcoin City, une cité futuriste alimentée par l’énergie géothermique du volcan Conchagua et propulsée par le bitcoin. Mais en se rendant sur place, un journaliste n’a trouvé nulle trace de cette mégapole high-tech promise. Enquête sur un mirage qui fait jaser.
Sur les traces de la Cité Bitcoin
Bitcoin City résonne comme un El Dorado des temps modernes. Une ville de rêve nichée dans la jungle, une utopie du 21e siècle, avec ses gratte-ciels rutilants et ses habitants branchés, tous adeptes de la cryptomonnaie. Un projet pharaonique vanté par le président Bukele lui-même en novembre 2021, censé voir le jour au pied du majestueux volcan Conchagua, à la pointe orientale du Salvador.
Les images d’illustration dévoilées en mai 2022 montrent une cité à la forme circulaire, rappelant le logo du bitcoin, avec une structure centrale couleur or. Un coup de projecteur international pour ce petit pays d’Amérique Centrale, devenu le premier au monde à faire du bitcoin une monnaie légale en septembre 2021.
Intrigué, un reporter a voulu voir de ses propres yeux l’avancée des travaux. Après 4h30 de route depuis la capitale San Salvador, il arrive au village de Conchagua, au nord du volcan. Surprise, pas l’ombre d’un gratte-ciel ou d’un chantier à l’horizon. Juste un adorable petit bourg d’un autre temps, avec sa place centrale, sa vieille église coloniale et ses écoliers en uniforme.
« Ce ne sont que des paroles »
À la mairie, l’employé Margarito García, en poste depuis 15 ans, s’étonne quand on l’interroge sur le projet présidentiel. « Ce ne sont que des paroles », lâche-t-il, sceptique. Pas l’ombre d’un engin de chantier à proximité, ni de visite de représentants du gouvernement. D’autres curieux, touristes français ou slovaques, sont déjà passés s’enquérir de Bitcoin City ces derniers mois. Mais García voit d’un bon œil cette soudaine notoriété pour dynamiser l’économie locale.
Il mentionne bien un projet d’aéroport à 30 minutes de là, près de la localité de Loma Larga. Le « Pacific Airport », une initiative de Bukele datant de 2019 pour doper le tourisme dans l’est du pays et désengorger l’aéroport international existant. Un chantier à 328 millions de dollars, qui devrait débuter en 2025. Un premier jalon avant l’hypothétique Bitcoin City ?
Un volcan à l’assaut, en quête d’indices
De retour à Conchagua, l’envie est forte de partir à l’assaut du volcan, contempler le Golfe de Fonseca et s’imaginer la vue qu’auraient les habitants de la cité du futur. Mais les locaux mettent en garde : sans 4×4, impossible de s’aventurer sur ces pistes caillouteuses qui serpentent à travers la jungle luxuriante. Qu’à cela ne tienne, quitte à braver les nids-de-poule au volant d’une citadine de location, cap sur le versant nord-est en direction du hameau d’Amapalita !
La piste s’élève, de plus en plus raide et chaotique. Quelques détours s’imposent pour contourner les passages trop abrupts. Des champs et des bois à perte de vue, et par intermittence, le volcan qui se dévoile, majestueux. Mais toujours aucune trace d’activité suspecte en contrebas. L’ascension s’arrête à mi-chemin, la prudence l’emportant. Demi-tour, retour à la civilisation, des questions plein la tête.
Bukele, roi du brouillard
Car le projet Bitcoin City reste pour l’heure bien mystérieux. Outre l’aéroport, la mégapole imaginée par Bukele devait accueillir un port, un réseau ferré, des zones commerciales et résidentielles, des restaurants et lieux de divertissement. Le tout alimenté par l’énergie géothermique du volcan, un clin d’œil écolo pour verdir l’image sulfureuse du minage de bitcoins, très énergivore.
Le président rêvait aussi d’un paradis fiscal avec une fiscalité légère uniquement basée sur la TVA. Pour financer ce chantier titanesque, il comptait émettre des obligations « volcano bonds » adossées au bitcoin, pour un montant d’un milliard de dollars. Initialement prévus pour 2022, ces bonds sont toujours dans les limbes, repoussés a minima à 2024 selon le bureau dédié au bitcoin. Depuis, silence radio.
Un mirage pas encore enterré
Le Salvador a déjà surpris le monde plus d’une fois sous l’impulsion de son président atypique. Le pays permet de payer ses impôts en bitcoins depuis septembre 2022. Alors, Bitcoin City verra-t-elle le jour dans la décennie qui vient ? Nul ne peut l’affirmer avec certitude. Mais force est de constater qu’à ce stade, rien de concret n’émerge sur le terrain pour concrétiser cette vision futuriste.
L’épopée en quête de ce mirage high-tech laisse un sentiment mitigé. Entre fascination pour l’audace du projet et doute sur sa faisabilité réelle. Entre espoir d’un Eldorado crypto et crainte d’une chimère qui restera lettre morte. Le visage perplexe de ce fermier croisé sur la route du volcan semble résumer l’état d’esprit : « Bitcoin City ? Ça fait jaser… mais j’attends de voir ! » Le Salvador, terre de défis ou roi du bluff ? L’avenir le dira.