La France se trouve actuellement à un carrefour décisif, tiraillée entre la nécessité d’un redressement budgétaire et le risque d’une crise politique et financière majeure. C’est le message alarmant délivré par la porte-parole du gouvernement Maud Bregeon, qui met en garde contre les conséquences désastreuses d’une éventuelle censure conjointe de l’extrême droite et de la gauche à l’Assemblée nationale.
Un budget de redressement sous haute tension
Au cœur des tensions se trouve le budget de l’État et de la Sécurité sociale pour 2024, que le gouvernement minoritaire d’Emmanuel Macron entend faire adopter sans vote via l’article 49.3 de la Constitution. Une manœuvre risquée qui expose l’exécutif à une motion de censure transpartisane, le Rassemblement national (extrême droite) étant le groupe le plus important à l’Assemblée avec 125 députés sur 577.
Selon Maud Bregeon, si l’opposition de gauche et d’extrême droite parvenait à faire tomber le gouvernement, elle «prendrait le risque d’envoyer le pays dans le mur» et devrait «assumer la responsabilité d’un affaiblissement durable» de la France sur le plan économique, social et diplomatique. Une mise en garde qui témoigne de l’extrême fragilité de l’exécutif, formé dans la douleur en septembre après des mois de crise politique depuis la réélection d’Emmanuel Macron.
La menace de «turbulences graves» sur les marchés
Le Premier ministre Michel Barnier a lui aussi sonné l’alarme, évoquant un risque de «turbulences graves sur les marchés financiers» en cas de chute du gouvernement. «Nous empruntons déjà à des taux d’intérêt très hauts, presque au niveau de la Grèce», a-t-il souligné, pointant du doigt la dépendance de la France vis-à-vis des investisseurs étrangers pour financer sa dette publique abyssale.
Un constat corroboré par l’évolution récente des taux d’emprunt français sur les marchés, dont l’écart avec les taux allemands a atteint mardi son plus haut niveau depuis 2012. Un signal inquiétant qui traduit la défiance croissante des investisseurs envers la signature de la France, dont la crédibilité budgétaire est sérieusement écornée.
Un affaiblissement durable de la France à l’international ?
Au-delà des conséquences économiques et financières, c’est le poids diplomatique de la France qui serait durablement affecté par une crise politique majeure, selon le gouvernement. «La conséquence d’une crise politique et d’une crise financière probable en France impactera notre poids diplomatique et notre capacité à défendre nos intérêts», a averti Maud Bregeon.
Une mise en garde qui fait écho aux inquiétudes exprimées par de nombreux observateurs quant à l’érosion de l’influence française sur la scène internationale. Entre Brexit, montée des populismes et guerre en Ukraine, la France peine à faire entendre sa voix dans un monde de plus en plus polarisé et instable.
La France ne peut pas se permettre de s’enfoncer dans une spirale d’instabilité politique et budgétaire. C’est notre crédibilité et notre souveraineté qui sont en jeu.
Un ministre sous couvert d’anonymat
Des économies indispensables mais politiquement explosives
Pour tenter de redresser les comptes publics et rassurer les marchés, le gouvernement entend faire voter de nombreuses mesures d’économies dans son budget 2024. Des coupes budgétaires qui s’annoncent politiquement explosives, dans un contexte social déjà très tendu marqué par une contestation record de la réforme des retraites au printemps.
Reste à savoir si Emmanuel Macron et sa Première ministre Elisabeth Borne parviendront à faire adopter leur budget sans encombre, et surtout sans provoquer une crise politique majeure qui pourrait définitivement paralyser le quinquennat. Un défi de taille pour un exécutif affaibli, condamné à louvoyer entre des oppositions toujours plus radicales et intransigeantes.
La démonstration par l’absurde des limites du «en même temps» macroniste ?
Plus fondamentalement, la menace d’une censure conjointe de la gauche et de l’extrême droite semble sonner le glas de la stratégie du «en même temps» théorisée par Emmanuel Macron. Celle qui consistait à transcender le clivage gauche-droite pour rassembler autour d’un projet «progressiste» et «européen».
Force est de constater que cette ligne, qui avait permis à Emmanuel Macron de dynamiter le paysage politique en 2017, a atteint ses limites. La radicalisation des oppositions et la polarisation croissante du débat rendent de plus en plus intenable toute forme de compromis ou de consensus. Un constat amer pour le chef de l’État, condamné à naviguer à vue dans un paysage politique plus éclaté et instable que jamais.
Vers une nouvelle cohabitation à la française ?
Si le gouvernement venait à tomber sur une motion de censure, Emmanuel Macron n’aurait d’autre choix que de nommer un nouveau Premier ministre issu des rangs de l’opposition. Un scénario qui renverrait à la situation de cohabitation que la France a connue à trois reprises sous la Ve République (1986-1988, 1993-1995, 1997-2002).
Une telle issue serait vécue comme un désaveu cinglant pour Emmanuel Macron, qui a bâti tout son quinquennat sur la promesse d’un dépassement du clivage gauche-droite. Elle ouvrirait une période d’intense incertitude politique et institutionnelle, à moins de deux ans de la prochaine élection présidentielle.
Une chose est sûre : la France est entrée dans une zone de turbulences politiques et budgétaires majeures dont elle ne sortira pas indemne. Et nul ne sait à ce stade quel visage aura le paysage politique au sortir de cette séquence à haut risque. Une situation inédite sous la Ve République, qui met à rude épreuve le système politique français et interroge sur sa capacité à répondre aux défis immenses du moment.