Il est un peu plus de 22 h 30, ce soir-là, dans un quartier résidentiel du nord de Marseille. Laurent, la cinquantaine, descend comme tous les soirs promener son petit jack-russell. Rien d’extraordinaire. Une habitude banale, presque apaisante après une journée de travail. Quelques minutes plus tard, il gît au sol, le visage tuméfié, plusieurs dents cassées, incapable de se relever seul. Trois jeunes viennent de le tabasser sans raison apparente.
Une agression d’une violence rare en pleine rue
C’est Laurent lui-même qui a accepté de raconter son lit d’hôpital de raconter l’enfer qu’il a vécu. « J’ai à peine eu le temps de comprendre ce qui m’arrivait », confie-t-il encore sous le choc. Les trois individus, âgés d’une quinzaine d’années selon les témoins, l’ont d’abord entouré enjambé pour lui barrer la route. Puis les coups sont partis. Poings, pieds, coups de genoux. Une pluie de violence concentrée sur le visage et le thorax.
Son chien, terrorisé, aboyait sans discontinuer, tentant vainement de défendre son maître. Les agresseurs ont fini par prendre la fuite en riant, laissant Laurent ensanglanté sur le trottoir. Un riverain, alerté par les cris, a composé le 17. Les pompiers l’ont transporté en urgence à l’hôpital Nord.
« Ils frappaient pour le plaisir de frapper. Pas un mot, pas une demande d’argent ou de téléphone. Juste des rires pendant qu’ils me démolissaient. »
Laurent, victime
Un traumatisme crânien et plusieurs fractures
Le bilan médical est lourd : traumatisme crânien avec perte de connaissance, fracture de l’arcade sourcilière, plusieurs dents brisées, côtes fêlées et de nombreuses contusions. Laurent est resté trois jours en observation. Aujourd’hui encore, il souffre de vertiges et d’acouphènes permanents.
« Je n’ose plus sortir le soir, avoue-t-il. Même en plein jour, je regarde derrière moi. Mon chien, lui, refuse désormais de franchir le seuil de l’immeuble après 20 heures. »
Un quartier pourtant réputé « calme »
L’agression s’est déroulée dans le 13ᵉ arrondissement, un secteur que les habitants décrivent souvent comme paisible comparé aux quartiers nord les plus sensibles. Des pavillons, des petits immeubles récents, des familles. Rien qui laissait présager une telle explosion de violence.
Mais depuis plusieurs mois, les riverains constatent une dégradation sensible. Groupes de jeunes qui traînent tard le soir, incivilités répétées, rodéos de scooters, petits trafics en bas des immeubles. « On sent que ça monte une forme d’impunité », confie une voisine qui a requis l’anonymat.
Les habitants entre colère et résignation
Sur les réseaux sociaux de quartier, les messages de soutien à Laurent se multiplient, mais aussi les témoignages similaires. Une femme raconte avoir été suivie à plusieurs reprises. Un retraité dit avoir été insulté et menacé parce qu’il avait osé demander à des jeunes de baisser le volume de leur musique à 2 heures du matin.
« On a l’impression que plus personne n’a peur de rien, résume un père de famille. Les policiers passent, verbalisent parfois, mais dix minutes après, c’est reparti comme avant. »
Beaucoup pointent du doigt l’âge des agresseurs. « Des mineurs, donc quasiment intouchables », déplore un habitant. « Même en cas d’arrestation, ils ressortent le lendemain. »
Une enquête en cours, mais peu d’espoir d’identification
La police a ouvert une enquête pour « violences volontaires en réunion avec préméditation ». Des caméras de vidéosurveillance proches du lieu de l’agression sont en cours d’exploitation. Mais les images sont de mauvaise qualité et les trois suspects portaient des capuches.
Laurent, lui, n’a pas reconnu ses agresseurs. « Tout est allé si vite… Je me souviens juste de leurs rires. » Il a porté plainte, comme on le lui a conseillé, mais sans grande illusion. « Combien de chances qu’on les retrouve ? »
La violence gratuite, un phénomène qui explose
Cette agression n’est malheureusement pas un cas isolé. À Marseille comme dans d’autres grandes villes françaises, les faits de violence gratuite se multiplient. Des coups portés pour un regard, pour un refus de cigarette, ou parfois sans aucune raison.
Les statistiques officielles font état d’une hausse de 15 % des violences physiques crapuleuses et non crapuleuses en 2024 dans les Bouches-du-Rhône. Mais beaucoup d’habitants estiment que la réalité est bien pire, nombre de victimes renonçant à porter plainte par lassitude ou par peur de représailles.
- 2023 : 1000 agressions physiques recensées dans le seul périmètre de la ville de Marseille
- 2024 : +18 % sur les neuf premiers mois
- 65 % des victimes déclarent ne plus se sentir en sécurité après 21 heures
- Seulement 12 % des auteurs identifiés et jugés pour des faits similaires
Quand promener son chien devient un acte de courage
Ce qui choque le plus dans l’histoire de Laurent, c’est sa banalité. Sortir son chien. Une action anodine, presque sacrée pour des millions de Français. Devenue, dans certains quartiers, un risque inconsidéré.
Sur les forums de propriétaires canins marseillais, les témoignages affluent : « Je ne sors plus mon labrador après 20 heures », « J’ai acheté une bombe lacrymogène pour la promenade du soir », « Mon chien a été attaqué par un groupe, j’ai eu peur pour ma vie »…
Certains en viennent à déménager. D’autres s’équipent de caméras portatives ou rejoignent des groupes de promenade collective pour plus de sécurité. Une solidarité née de la peur.
Vers une prise de conscience collective ?
L’histoire de Laurent a ému bien au-delà de son quartier. Des pétitions circulent pour demander plus de patrouilles policières le soir. Des habitants proposent de créer une association de vigilance citoyenne.
Mais beaucoup reste sceptiques. « On nous promet des renforts depuis des années, soupire une riveraine. Pendant ce temps, des gens comme Laurent paient le prix fort pour une simple promenade. »
Au-delà du cas personnel, c’est tout un modèle de société qui semble vaciller : celui où l’on pouvait encore, il y a quelques années, se promener tranquillement dans sa propre rue sans craindre pour sa vie.
Aujourd’hui, Laurent se remet doucement. Il envisage de quitter Marseille, cette ville qu’il aime pourtant profondément. « Je ne veux pas vivre dans la peur », confie-t-il. Comme des milliers d’autres, il attend autre chose que des promesses : une réponse ferme, durable, à cette violence qui ronge le quotidien.
Car demain, ce pourrait être vous. Ou votre père. Ou votre voisin. Juste pour avoir sorti le chien.









