Imaginez-vous réveillé au petit matin par des tirs sporadiques, puis apprendre que des combattants armés viennent d’entrer dans les quartiers nord de votre ville. À Uvira, sur la rive nord-ouest du lac Tanganyika, c’est la réalité que vivent des centaines de milliers d’habitants depuis mardi. Et le pire, c’est que personne ne sait vraiment qui contrôle encore quoi.
Une progression fulgurante qui défie tous les pronostics
Moins d’un an après avoir pris Goma et Bukavu dans une offensive éclair, le M23 remet le couvert. Lancée le 1er décembre, sa nouvelle campagne dans le Sud-Kivu suit l’axe frontalier avec le Burundi à une vitesse stupéfiante. En quelques jours seulement, les combattants ont foncé vers le sud et atteint les faubourgs d’Uvira, ville de plusieurs centaines de milliers d’habitants située à peine à vingt kilomètres de Bujumbura.
Mercredi après-midi, des habitants joints par téléphone confiaient avoir vu des éléments du M23 dans les quartiers nord. Dans la matinée, quelques soldats congolais et miliciens loyaux à Kinshasa étaient encore visibles, mais les tirs résonnaient déjà de façon erratique. Les écoles sont fermées, les boutiques baissées, les rues désertes.
« Les gens sont enfermés chez eux, on n’ose plus sortir. On attend, c’est tout »,
raconte un habitant d’Uvira, la voix tremblante
Le Burundi passe en mode « zone militaire »
Face à cette menace directe, Bujumbura n’a pas hésité. Dès mardi soir, toutes les frontières avec la RDC ont été fermées. Chaque poste-frontière est désormais considéré comme une zone militaire à part entière. Des officiers burundais et des policiers confirment : plus personne ne passe.
Il faut dire que les relations entre le Burundi et le Rwanda, accusé de soutenir massivement le M23 (entre 6 000 et 7 000 soldats selon les experts onusiens), sont exécrables depuis des années. Cette offensive risque de transformer la rivalité en confrontation ouverte.
Le Burundi, qui compte encore environ 18 000 soldats déployés en RDC pour soutenir l’armée congolaise contre le M23, voit désormais le feu aux portes de sa capitale économique.
Un exode massif en quelques jours seulement
Les chiffres donnent le vertige. Plus de 30 000 Congolais ont déjà franché la frontière pour se réfugier au Burundi en une seule semaine, selon des responsables locaux et des sources onusiennes. À l’intérieur du Sud-Kivu, l’OCHA estime à plus de 200 000 le nombre de personnes déplacées depuis le 2 décembre.
Des colonnes entières de militaires congolais en déroute ont été vues fuyant Uvira, certains abandonnant armes et uniformes, d’autres pillant magasins et pharmacies sur leur passage. Le spectacle d’une armée qui s’effondre en direct est glaçant.
En une semaine :
– Plus de 30 000 réfugiés au Burundi
– Plus de 200 000 déplacés internes
– Des dizaines de milliers vers le Rwanda et d’autres pays voisins
L’accord de paix de Washington déjà moribond
Le timing est cruel. À peine six jours après la signature, le 4 décembre à Washington, d’un accord qualifié de « miracle » par son parrain Donald Trump, le M23 relance les hostilités avec une violence inouïe.
Cet accord, conclu entre Félix Tshisekedi et Paul Kagame, prévoyait pourtant un cessez-le-feu, un retrait progressif des troupes, et en échange un accès privilégié des entreprises américaines aux minerais stratégiques du sous-sol congolais. Sa mise en œuvre s’annonçait déjà compliquée. Aujourd’hui, elle paraît carrément compromise.
Mercredi, le Rwanda a accusé la RDC et le Burundi de « violations délibérées » du processus de paix. La veille, les États-Unis et plusieurs capitales européennes avaient pourtant sommé le M23 et Kigali de cesser « immédiatement » leur offensive.
Vers le Katanga ? La peur qui monte à Kinshasa
Dans les chancelleries européennes, on murmure que l’objectif ultime du M23 pourrait être bien plus ambitieux qu’Uvira. Certains diplomates craignent une percée vers le Katanga, la province cuprifère qui constitue le véritable coffre-fort de l’État congolais grâce aux taxes prélevées sur les géants miniers.
Prendre le contrôle, même partiel, des routes menant au Katanga couperait la RDC de ses principales ressources et plongerait le pays dans une crise économique sans précédent.
Une région au bord du chaos total
L’est de la RDC vit sous la menace permanente depuis plus de trente ans. Mais cette nouvelle offensive du M23, avec son soutien rwandais assumé par la communauté internationale, fait craindre le pire : une guerre régionale ouverte impliquant directement le Rwanda, le Burundi, et potentiellement l’Ouganda.
Les Grands Lacs, déjà parmi les zones les plus instables de la planète, pourraient basculer dans un conflit d’une ampleur inédite depuis le génocide de 1994 et les deux guerres du Congo.
À Uvira, les habitants retiennent leur souffle. Certains ferment leurs volets et prient. D’autres préparent déjà leurs maigres bagages, prêts à tout quitter si les combats s’intensifient. Pour l’instant, la ville est suspendue dans une attente lourde, entre peur et résignation.
Et pendant ce temps, à quelques kilomètres de là, de l’autre côté de la frontière désormais hermétiquement close, les soldats burundais scrutent l’horizon, arme au poing.
La suite des événements, dans les prochaines heures ou les prochains jours, pourrait changer la face de toute l’Afrique centrale.









