La chimie française traverse une crise sans précédent. Selon France Chimie, la fédération regroupant les acteurs du secteur, ce sont près de 15 000 emplois qui pourraient disparaître dans les trois prochaines années, soit 8% des effectifs directs de la filière. Une situation alarmante qui s’explique par une conjonction de facteurs défavorables.
Une compétitivité mise à mal
Le premier défi auquel fait face l’industrie chimique tricolore est celui du coût de l’énergie. Comme le souligne Magali Smets, responsable de France Chimie, les prix de l’électricité et du gaz sont nettement supérieurs en Europe par rapport à d’autres régions du monde :
Le prix de l’électricité est deux fois plus élevé en France qu’aux États-Unis, et celui du gaz cinq fois plus important.
– Magali Smets, France Chimie
Cette cherté de l’énergie grève sérieusement la compétitivité des entreprises françaises face à leurs concurrentes américaines ou chinoises. Malgré des discussions avec EDF, aucun contrat de long terme n’a été signé à ce jour pour sécuriser l’approvisionnement du secteur à des tarifs plus attractifs.
Une concurrence internationale féroce
Au-delà du prix de l’énergie, la chimie française souffre également d’un manque de compétitivité réglementaire. Inspirés par le récent rapport Draghi sur la compétitivité européenne, les industriels réclament un “choc de simplification” pour alléger les contraintes pesant sur leurs activités.
Dans le même temps, la concurrence étrangère ne faiblit pas. Les géants chinois et américains de la chimie gagnent des parts de marché grâce à des coûts de production plus faibles et un accès privilégié à certaines matières premières stratégiques.
Une demande européenne en berne
Autre sujet d’inquiétude pour France Chimie : l’atonie de la demande en Europe. Avec une croissance économique toujours fragile sur le Vieux Continent, les débouchés se font plus rares pour les produits issus de la chimie. Un ralentissement qui n’incite guère les entreprises à investir et à embaucher.
Résultat, la filière enchaîne les plans sociaux. Après les 670 suppressions de postes annoncées par ExxonMobil ou les difficultés de Metabolic Explorer, d’autres acteurs comme Solvay et Weylchem ont également lancé des restructurations ces derniers mois. Une tendance lourde qui touche l’ensemble de l’Europe, comme en témoignent les coupes dans les effectifs de géants comme BASF, Evonik ou Unilever.
Quel avenir pour la chimie française ?
Face à cette vague de mauvaises nouvelles, le débat sur l’avenir du secteur s’intensifie. Au-delà des enjeux de compétitivité immédiats, c’est la place de l’industrie chimique dans la transition écologique et énergétique qui fait question.
Un secteur clé de la transition écologique
Car la chimie joue un rôle essentiel dans le développement des solutions bas carbone. Des matériaux isolants pour le bâtiment aux membranes pour les piles à combustible, en passant par les composants des batteries, de nombreuses innovations sont attendues des laboratoires et des usines chimiques.
Conscients de cet enjeu, les industriels insistent sur leurs efforts de R&D et sur leur volonté de s’inscrire dans une logique d’économie circulaire. Le recyclage des matières et le recours aux matières premières biosourcées sont ainsi présentés comme des axes stratégiques par la plupart des grands chimistes.
Une nécessaire adaptation
Mais au-delà des discours, la transformation du secteur passe aussi par une capacité à s’adapter aux nouvelles contraintes. Montée des préoccupations sanitaires et environnementales, évolution des réglementations, pression sociétale sur les produits controversés… Autant de défis qui obligent les entreprises à repenser leurs business models.
Reste aussi à revaloriser l’image d’une industrie qui peine à attirer les jeunes talents. Malgré des perspectives technologiques stimulantes, la chimie souffre encore d’une réputation sulfureuse auprès du grand public. Un travail de pédagogie et d’ouverture qui pourrait s’avérer crucial pour bâtir la chimie du 21e siècle.
Au final, entre contraintes de court terme et enjeux de long terme, l’industrie chimique française se trouve à la croisée des chemins. Si rien n’est fait, le spectre d’un déclin accéléré et de lourdes pertes d’emplois plane sur le secteur. Mais en relevant le défi d’une double transition, compétitive et écologique, la chimie tricolore pourrait aussi retrouver un horizon plus dégagé à l’avenir.