L’industrie aéronautique civile russe traverse une zone de fortes turbulences. Prise en étau entre des sanctions internationales qui la privent de précieux fournisseurs occidentaux et une flotte vieillissante majoritairement constituée d’appareils étrangers, elle est contrainte de se réinventer dans l’urgence. Le consortium OAK, fer de lance du secteur, vient d’annoncer un vaste plan de réorganisation pour tenter de sortir la tête de l’eau et relancer une production nationale en berne.
Une industrie plombée par les sanctions occidentales
Depuis le début de l’offensive russe en Ukraine en février 2022, les sanctions économiques pleuvent sur Moscou. Et le secteur aérien n’est pas épargné. Les grands avionneurs occidentaux, Airbus et Boeing en tête, ont coupé les ponts avec les compagnies russes, gelant les livraisons d’appareils, mais aussi l’approvisionnement en pièces détachées. Un coup dur quand on sait que les deux-tiers de la flotte civile russe sont de fabrication étrangère.
La maintenance et la sécurité de centaines d’avions sont en jeu. Selon une source proche du dossier, les compagnies aériennes russes font face à un risque accru d’incidents et d’accidents.
Pour ne rien arranger, les motoristes et équipementiers occidentaux ont également tourné le dos à l’aéronautique russe, la privant de systèmes cruciaux. Résultat, même les programmes d’avions 100% russes se retrouvent paralysés, faute de pouvoir se passer de certains composants importés.
Un virage à 180 degrés pour OAK
Pour sortir de l’ornière, le conglomérat étatique OAK, qui chapeaute l’essentiel de l’industrie, met les bouchées doubles. Les constructeurs Yakovlev et Tupolev passent sous son contrôle direct afin d’accélérer les programmes nationaux de développement. L’objectif ? Lancer au plus vite la production en série d’avions de ligne 100% made in Russia.
Mais la tâche s’annonce ardue. Malgré des années d’efforts, Moscou peine toujours à proposer des appareils compétitifs et produits à grande échelle. Le Soukhoï Superjet accumule les déboires techniques et commerciaux, tandis que le MS-21, censé concurrencer l’A320 et le Boeing 737, accumule les retards.
Modèle | Livraisons prévues d’ici 2031 | Retard annoncé |
Sukhoï Superjet | 142 | 1 à 2 ans |
MS-21 | 270 | 2 à 3 ans |
Course contre la montre et défi technologique
Pour l’industrie russe, c’est une véritable course contre la montre qui est engagée. Chaque mois de retard laisse le champ libre aux concurrents étrangers, chinois en particulier, pour grignoter des parts de marché. Un enjeu crucial à l’heure où le trafic aérien mondial repart de plus belle après la parenthèse Covid.
Mais s’affranchir du jour au lendemain de décennies de dépendance technologique aux systèmes occidentaux relève de la gageure. Malgré une volonté politique affichée au plus haut niveau par Vladimir Poutine, la route vers une aéronautique civile russe autosuffisante et performante s’annonce semée d’embûches.
C’est un changement de paradigme complet auquel est confronté le secteur. Il faudra des investissements colossaux et un effort sans précédent de formation et de R&D pour espérer combler le retard accumulé.
confiait récemment un expert du secteur sous couvert d’anonymat.
Le temps presse pour l’aéronautique civile russe. Isolée et sous perfusion de l’État, elle joue à la fois sa survie à court terme et son avenir à long terme dans cette réorganisation d’urgence. Les prochains mois seront décisifs pour savoir si le pari audacieux engagé par OAK pourra être tenu. Une chose est sûre, le chemin s’annonce long et périlleux pour reconquérir le ciel russe et s’imposer à l’international avec une nouvelle génération d’avions.