Mardi dernier, le gouvernement de gauche espagnol a annoncé l’adoption d’une réforme réglementaire majeure visant à faciliter la régularisation de dizaines de milliers de migrants en situation irrégulière chaque année, au cours des trois prochaines années. Cette décision audacieuse s’inscrit dans une volonté affichée de renforcer l’intégration des étrangers et de soutenir l’économie du pays.
Un choix politique fort en faveur de l’ouverture
Pour la ministre de l’Inclusion et des Migrations Elma Saiz, l’objectif est clair : « Renforcer et élargir les voies d’accès à la régularisation pour les migrants qui se trouvent en Espagne, afin qu’ils puissent mener une vie pleine en tant que citoyens : avoir des droits et des devoirs. » Un choix politique assumé, alors que de nombreux pays européens durcissent leurs politiques migratoires. Le gouvernement espagnol mise sur l’ouverture et l’intégration comme moteurs de prospérité.
Près de 300 000 régularisations par an espérées
Selon les estimations du gouvernement, cette réforme pourrait permettre la régularisation de jusqu’à 300 000 migrants en situation irrégulière chaque année, pendant trois ans. Un chiffre considérable, alors que 210 000 personnes étaient engagées dans les démarches de naturalisation fin 2023, soit déjà 85 000 de plus qu’en 2022. Elma Saiz insiste sur les besoins en main d’œuvre de l’Espagne :
« Comme nous l’avons répété à plusieurs reprises, divers organismes nationaux et internationaux estiment que l’Espagne a besoin d’environ 250 000 à 300 000 travailleurs étrangers par an pour maintenir son niveau de vie. »
La ministre de l’Inclusion et des Migrations Elma Saiz
Des mesures concrètes pour accélérer l’intégration
Concrètement, la réforme prévoit différentes mesures pour faciliter les démarches des migrants :
- Réduction des délais et des formalités pour l’obtention des titres de séjour
- Renforcement des droits des travailleurs migrants
- Extension de trois mois à un an de la durée du visa de recherche d’emploi
- Création de nouveaux statuts ouvrant la voie à une régularisation
D’après la ministre, quelque 2,9 millions d’étrangers cotisent déjà chaque mois à la sécurité sociale, soit 13,6% du total des affiliés, « deux points de plus qu’il y a seulement deux ans ». Des chiffres qui soulignent la contribution essentielle des travailleurs étrangers à l’économie espagnole.
L’Espagne, porte d’entrée majeure des migrants en Europe
Située aux portes de l’Afrique, l’Espagne est avec l’Italie et la Grèce l’une des principales portes d’entrée des migrants en Europe. Le pays fait notamment face à une pression migratoire forte aux Canaries, archipel situé au nord-ouest du continent africain. Selon des sources proches du ministère de l’Intérieur, 32 878 migrants irréguliers y seraient arrivés depuis le début de l’année 2024, contre 23 537 sur la même période en 2023. Un afflux qui nécessite des réponses politiques adaptées.
Des réactions contrastées dans la classe politique
Cette réforme audacieuse ne fait pas l’unanimité dans la classe politique espagnole. Si les partis de gauche saluent un « pas historique » en faveur de l’intégration, la droite dénonce une mesure « irresponsable » qui risque « d’attirer toujours plus de migrants ». Au sein même de la majorité gouvernementale, certaines voix s’inquiètent des risques pour la cohésion sociale et appellent à une application « ferme et humaine » des nouvelles règles.
Les défis de l’intégration à long terme
Au-delà des divergences politiques, les experts soulignent les défis posés par l’intégration d’un grand nombre de migrants régularisés. L’accès au logement, à l’éducation, aux soins, ainsi que l’insertion sur le marché du travail nécessiteront des efforts soutenus de long terme. Des moyens conséquents devront être déployés pour accompagner les nouveaux arrivants et garantir la cohésion sociale.
Le gouvernement assure avoir anticipé ces enjeux et prévoit des mesures complémentaires, notamment en matière de formation professionnelle et linguistique. Le pari est osé, mais pourrait s’avérer payant à long terme si l’intégration est réussie, en apportant des compétences nouvelles et un dynamisme dont l’économie espagnole a besoin pour rester compétitive.
Un exemple pour l’Europe ?
Avec cette réforme, l’Espagne entend montrer une voie alternative sur la question migratoire, à rebours du durcissement observé dans de nombreux pays européens. Une approche qui suscite l’intérêt, alors que l’UE peine à définir une politique commune ambitieuse en matière d’accueil et d’intégration des migrants.
La réussite de la politique espagnole constituerait un exemple fort pour les défenseurs d’une Europe ouverte et solidaire. À l’inverse, un échec donnerait des arguments aux partisans de la fermeté. Un test grandeur nature, qui sera scruté de près par les capitales européennes.
Conclusion
La réforme adoptée par l’Espagne est un pari audacieux sur l’intégration comme moteur de développement et de prospérité. Dans un contexte européen marqué par la défiance envers l’immigration, cette politique à contre-courant portera-t-elle ses fruits ? Les prochaines années seront décisives pour évaluer la pertinence de ce choix.
Une chose est sûre : la réussite d’une telle politique nécessitera la mobilisation de l’ensemble de la société espagnole, au-delà des clivages partisans. Parce que l’intégration se joue d’abord au quotidien, dans les villes et les villages, les écoles et les entreprises. Un défi collectif, pour écrire une nouvelle page de l’histoire d’une Espagne diverse et unie.