Alors que les tensions politiques s’accentuent en France suite à la dissolution de l’Assemblée nationale, les économistes s’interrogent sur les potentielles répercussions de ce climat d’incertitude sur le comportement d’épargne des ménages. En effet, les périodes de turbulences politiques ont souvent tendance à inciter les particuliers à mettre davantage d’argent de côté par précaution, ce qui pourrait paradoxalement faire repartir à la hausse le taux d’épargne des Français, déjà à des niveaux historiquement élevés.
Un contexte propice à l’épargne de précaution
Depuis la crise sanitaire liée au Covid-19, les Français ont accumulé une épargne record, de l’ordre de 200 milliards d’euros selon la Banque de France. Malgré les appels du gouvernement à réinjecter cet argent dans l’économie pour soutenir la croissance, le taux d’épargne est resté obstinément élevé, oscillant entre 16% et 17% du revenu disponible brut ces dernières années, contre environ 14% avant la pandémie.
Dans ce contexte, l’instabilité politique actuelle pourrait renforcer cette tendance à l’épargne de précaution. Face aux incertitudes quant à l’issue des prochaines élections législatives et à leurs conséquences potentielles sur le pouvoir d’achat, de nombreux ménages pourraient en effet choisir de différer certaines dépenses et de reconstituer une épargne de sécurité.
En période de doute, les ménages ont une propension naturelle à vouloir se constituer une épargne tampon pour faire face aux aléas. C’est ce que nous avons observé pendant les confinements successifs et cela pourrait très bien se reproduire dans le climat politique actuel.
– Philippe Crevel, directeur du Cercle de l’Épargne
Des conséquences économiques contrastées
Si les ménages décident effectivement de mettre davantage d’argent de côté dans les prochains mois, cela ne sera pas sans impact sur l’activité économique du pays :
- À court terme, une hausse du taux d’épargne risque de peser sur la consommation des ménages et donc sur la croissance, très dépendante de la demande intérieure en France.
- À plus long terme en revanche, cette épargne accumulée pourrait constituer un réservoir de croissance, à condition que la confiance revienne et que les ménages décident de la dépenser.
Tout dépendra donc de l’évolution de la situation politique et économique ainsi que du niveau de confiance des ménages dans les mois à venir. Si les incertitudes se dissipent rapidement, l’épargne “forcée” pourrait se transformer en consommation différée et soutenir la croissance. Mais si le climat reste durablement dégradé, elle risque de rester bloquée et de devenir une épargne “gelée”.
Le premier moteur de l’épargne reste le pouvoir d’achat
Si le contexte politique peut effectivement influencer à la marge les comportements d’épargne, il ne faut toutefois pas surestimer son impact. D’après les économistes, c’est avant tout l’évolution du pouvoir d’achat qui conditionne la capacité et la propension des ménages à épargner.
Si les revenus progressent plus vite que les prix, alors les ménages peuvent épargner davantage. Mais dans le contexte inflationniste actuel, c’est loin d’être acquis, beaucoup devant au contraire puiser dans leur bas de laine pour boucler leurs fins de mois.
– Mathieu Plane, économiste à l’OFCE
Pour l’heure, les projections de la Banque de France tablent sur une légère baisse du taux d’épargne des ménages à horizon 2024, sous l’effet de la déformation du pouvoir d’achat par l’inflation. Mais elle reconnaît que cette prévision est soumise à de fortes incertitudes, liées notamment à l’évolution de la situation politique.
Vers un retour progressif à la normale ?
À plus long terme, la plupart des économistes estiment que le taux d’épargne des Français devrait progressivement revenir vers sa moyenne historique, une fois que les incertitudes liées à la crise sanitaire et au climat politique se seront dissipées.
On ne peut pas dire que les Français sont devenus structurellement plus prudents. C’est surtout le contexte très particulier de ces dernières années qui les a poussés à épargner davantage. Quand la situation se normalisera, la consommation et l’investissement devraient mécaniquement repartir.
– Denis Ferrand, directeur général de Rexecode
D’ici là, il est probable que les fluctuations conjoncturelles, qu’elles soient politiques ou économiques, continueront d’influencer au gré de l’actualité les choix d’épargne et de consommation des ménages français. Le défi pour les pouvoirs publics sera donc d’inspirer suffisamment confiance sur le long terme pour libérer durablement ces centaines de milliards d’euros dormants au profit de l’économie.