La France est à la croisée des chemins. Les élections législatives anticipées de 2024, provoquées par la dissolution surprise de l’Assemblée nationale, pourraient bien redistribuer les cartes du jeu politique pour les années à venir. Dans un contexte de poussée inédite du Rassemblement national, d’union fragile des forces de gauche et d’effritement accéléré de la majorité présidentielle, ce scrutin s’annonce d’ores et déjà historique.
Le RN, futur premier parti de France ?
Fort de sa victoire écrasante aux européennes et surfant sur une dynamique qui semble irrésistible, le parti de Marine Le Pen espère bien prendre les commandes du pays en décrochant la majorité absolue à l’Assemblée. Un scénario du pire pour ses adversaires, mais qui n’a plus rien d’improbable au regard des derniers sondages.
S’il échoue à atteindre la barre fatidique des 289 sièges, le RN pourra toujours compter sur un groupe parlementaire puissant, qui devrait au minimum tripler ses effectifs actuels. De quoi peser lourdement sur la politique nationale, d’autant que le parti mise sur une «alliance des droites» avec certains élus Les Républicains tentés de franchir le Rubicon.
Union de la gauche : un attelage branlant
Sonnés par la gifle des européennes, les partis de gauche ont su réagir en nouant dans l’urgence un «Nouveau Front populaire». Mais cette alliance de circonstance, déjà ébranlée par les ambitions et les divergences de ses membres, résistera-t-elle à l’épreuve des urnes et des tractations d’entre-deux-tours ?
Jean-Luc Mélenchon, qui rêve de prendre sa revanche, s’est imposé par la force comme le chef de file contesté d’une gauche plus que jamais tiraillée. S’il parvenait à s’arroger Matignon, par la grâce des désistements et d’un front “anti-RN”, il devrait composer avec des alliés en embuscade, prompts à lui disputer la prééminence.
Macronie : chronique d’une déroute annoncée ?
Principale victime de la dissolution, la majorité présidentielle aborde ces législatives en position de grande faiblesse. Lâchée par ses électeurs et concurrencée sur sa droite comme sur sa gauche, elle pourrait subir une cuisante déroute, laissant Emmanuel Macron orphelin d’une assise parlementaire.
Dans ce contexte périlleux, l’exécutif joue son va-tout en dramatisant l’affrontement entre «progressistes» et «populistes». Mais cette ligne, portée par un Gabriel Attal déjà identifié comme un recours pour 2027, suffira-t-elle à endiguer la vague? Rien n’est moins sûr, alors que des voix discordantes s’élèvent pour appeler au «cas par cas» dans les inévitables duels RN-gauche.
LR au bord du gouffre
Exsangue après des années d’érosion électorale, miné par le débauchage de ses élus et déchiré par le choc frontal entre partisans et contempteurs du rapprochement avec le RN, le parti de droite traditionnelle joue sa survie lors de ces législatives. L’autorité vacillante de son président Éric Ciotti sera plus que jamais remise en cause.
Le score de dimanche déterminera la capacité de LR à exister encore en tant que force autonome, ou le précipitera un peu plus vers l’éclatement entre un centre-droit tenté de rejoindre Macron et une aile souverainiste vouée à courir derrière l’extrême droite. Un dilemme existentiel qui éclipsera sans doute l’enjeu du leadership, alors que Laurent Wauquiez a pris le risque d’un retour précipité.
La participation, clé du scrutin
Dans un scrutin aussi indécis et polarisé, la mobilisation des électeurs fera plus que jamais figure d’arbitre. Or, après la gifle de l’abstention aux législatives de 2022 et le rebond remarqué des européennes, les Français semblent décidés cette fois à se rendre massivement aux urnes, comme en témoigne la flambée des procurations.
Une participation en nette hausse profitera-t-elle en priorité aux partis protestataires, RN et Insoumis en tête ? C’est le pari de ces derniers, qui ont axé leur campagne sur une dénonciation virulente du «système». Mais la dramatisation du scrutin, décrit comme un choix de société historique, pourrait aussi remobiliser un électorat modéré opposé aux «extrêmes».
Quelle ligne pour le second tour ?
Les jeux seront loin d’être faits au soir du premier tour. Car au vu du niveau élevé requis pour se maintenir et de la multiplication probable des triangulaires, les reports de voix et consignes de vote des éliminés devraient peser très lourd dans le résultat final.
Comment se positionneront la majorité présidentielle, la droite traditionnelle, voire certains candidats de gauche, en cas de duel entre le RN et la NUPES ? La tentation sera grande, chez beaucoup, de jouer la politique du pire en refusant de choisir «entre la peste et le choléra». Mais une telle attitude ne risque-t-elle pas de faire le jeu de l’extrême droite ? La question promet en tout cas de semer la zizanie dans tous les états-majors.
Une seule certitude : au terme d’une séquence électorale à haut risque, ouverte par la réélection contestée d’Emmanuel Macron et close par ces législatives à l’issue imprévisible, le paysage politique français pourrait en sortir profondément et durablement bouleversé. Avec en ligne de mire une présidentielle 2027 déjà virtuellement lancée, où tout semble possible. Y compris l’impensable il y a peu.