Au lendemain du second tour des élections législatives 2024, force est de constater que le Rassemblement national (RN), bien qu’en nette progression, semble toujours buter sur un plafond de verre lorsqu’il s’agit de transformer l’essai aux portes du pouvoir. Avec 50 sièges de plus qu’en 2022, le RN confirme son statut de premier parti d’opposition, mais reste loin de la majorité absolue. Comment expliquer la persistance de ce mur quasi-infranchissable malgré les efforts de dédiabolisation du parti ?
Le paradoxe du vote RN : des soutiens indéfectibles mais une opposition large
Pour Paul Cébille, analyste d’opinion, le RN souffre d’un paradoxe qui fait sa force mais aussi sa faiblesse :
Le problème du Rassemblement national est de fédérer à la fois un nombre important de fervents soutiens et l’opposition la plus large. Ce paradoxe s’explique par le fait qu’il est le seul parti à s’investir sur certains thèmes (lutte contre l’immigration, insécurité en lien avec l’immigration, critique de la gouvernance de l’Union européenne et de ses fondements) tout en étant toujours perçu comme extrémiste.
Ainsi, malgré une amélioration sensible de son image depuis 2022, le RN suscite toujours un large rejet, plus fort qu’ailleurs sur l’échiquier politique. Un rejet qui se cristallise au second tour, lorsque vient l’heure des choix décisifs.
Une dédiabolisation en trompe l’œil ?
Si la stratégie de normalisation et de crédibilisation menée tambour battant par Marine Le Pen puis Jordan Bardella a porté ses fruits, elle semble toutefois atteindre ses limites. Pour notre expert, le parti a surestimé l’état d’avancement de sa mutation :
Si l’image du parti et de ses cadres s’est beaucoup améliorée depuis 2022, on note toujours un large rejet, plus fort qu’ailleurs. Par exemple, Jordan Bardella bénéficie de 42% de bonnes opinions dans le baromètre Ifop-Fiducial pour LCI et Le Figaro, soit nettement moins que les autres chefs de parti.
Un déficit d’image qui pèse lourd dans les urnes et empêche le RN de réaliser la percée décisive tant espérée. Le spectre de l’extrémisme, même atténué, continue de lui coller à la peau.
La vitalité intacte du “front républicain”
Face à la menace RN, la résistance s’organise, comme lors des précédents scrutins. Le réflexe du “front républicain”, qui voit les électeurs des autres partis se rassembler pour faire barrage à l’extrême droite, a une nouvelle fois joué à plein :
Le second tour des élections législatives a montré l’inénarrable vitalité du «front républicain». Quand vient l’heure du choix final, une majorité de Français préfère encore voter pour un candidat qu’ils n’apprécient pas forcément plutôt que de laisser le RN l’emporter.
souligne Paul Cébille.
Un réflexe quasi-pavlovien qui semble avoir de beaux jours devant lui tant que le RN n’aura pas réussi sa mue démocratique.
Le RN, puissant mais pas encore incontournable
Incontestablement, le RN est devenu un acteur majeur du paysage politique français. Première force d’opposition, il impose ses thèmes dans le débat et pèse sur les équilibres. Pour autant, il ne parvient pas à franchir le dernier obstacle vers la conquête du pouvoir :
Le RN est le parti qui compte le plus d’électeurs acquis à sa cause mais aussi le parti qui suscite le rejet le plus fort quand il s’agit de gouverner. Cette double réalité en fait un acteur puissant et influent, mais pas encore un recours naturel et incontournable pour une majorité de Français.
analyse Paul Cébille.
Le chemin vers une pleine normalisation et acceptation démocratique semble encore long et semé d’embûches pour le mouvement lepéniste. Le “plafond de verre” a beau se fissurer, il tient encore bon. Le RN devra redoubler d’efforts et de persuasion pour le faire définitivement voler en éclats.
Le second tour des législatives 2024 aura donc été celui des espoirs déçus pour le Rassemblement national. Malgré des vents électoraux favorables et une dynamique ascendante, le parti de Jordan Bardella n’a pas réussi à créer l’exploit en raflant une majorité de sièges. La faute à une dédiabolisation encore fragile et incomplète, à un front républicain toujours vaillant, et à une défiance persistante d’une majorité de Français.
Si le RN peut légitimement nourrir des ambitions pour la suite, le chemin vers le pouvoir suprême s’annonce encore long et tortueux. La bataille de l’image et de la crédibilité n’est pas encore gagnée. Les prochaines échéances, européennes en 2024 et présidentielle en 2027, seront autant de tests pour mesurer les progrès de sa normalisation. D’ici là, le plafond de verre a encore de beaux jours devant lui.