La plus haute juridiction administrative française, le Conseil d’État, a rendu une décision qui fait parler d’elle. Vendredi dernier, il a estimé que l’interdiction par Sciences Po Paris d’une conférence de l’eurodéputée franco-palestinienne Rima Hassan était justifiée, en raison du risque de troubles à l’ordre public qu’elle présentait. Une décision qui ne fait pas l’unanimité et soulève des questions sur la liberté d’expression au sein des établissements scolaires.
Le Conseil d’État infirme la décision du tribunal administratif
Dans son arrêt, le juge des référés du Conseil d’État a pris le contre-pied du jugement rendu le 22 novembre par le tribunal administratif de Paris. Ce dernier avait en effet ordonné à Sciences Po de mettre une salle à disposition pour la tenue de cette conférence intitulée « Embargo sur les armes à Israël ». Mais pour le Conseil d’État, étant donné la situation actuelle de l’établissement et le soutien apporté par Mme Hassan aux occupations et blocages de Sciences Po, le directeur était en droit de refuser de fournir une salle, sans que cela constitue une atteinte grave et illégale à la liberté d’expression et de réunion des étudiants.
Sciences Po salue une décision conforme à l’État de droit
Sans surprise, la direction de Sciences Po Paris s’est félicitée de cet arrêt qui valide sa position. D’après une source proche de l’établissement, cette décision reconnaît le bien-fondé du risque de trouble à l’ordre public qui avait été invoqué pour justifier l’interdiction de la conférence. Il faut dire que Sciences Po avait connu plusieurs blocages au printemps dernier lors de la mobilisation d’étudiants en faveur de Gaza.
L’avocate de Rima Hassan dénonce une décision préoccupante
Mais pour Me Vincent Brengarth, l’avocat de l’eurodéputée, il s’agit d’une décision extrêmement préoccupante. Selon lui, même si le juge a pris en compte un contexte propre à Sciences Po avec l’existence de troubles, le rôle de Mme Hassan dans le déclenchement de ces troubles n’est absolument pas démontré.
On interdit aujourd’hui à une députée de pouvoir s’exprimer dans une école prônant l’ouverture, sur un sujet d’intérêt général majeur.
– Me Vincent Brengarth, avocat de Rima Hassan
Une eurodéputée persona non grata dans plusieurs universités
Sciences Po n’est pas le seul établissement à avoir interdit à la juriste de 32 ans, élue sur la liste de la France Insoumise au Parlement européen, de tenir une conférence dans ses murs. L’université de Lille et Paris-Dauphine ont pris des décisions similaires, même si pour cette dernière, l’annulation a finalement été jugée illégale.
Ces interdictions à répétition soulèvent des interrogations sur la liberté d’expression dans l’enseignement supérieur, en particulier lorsqu’il s’agit d’aborder des sujets sensibles comme le conflit israélo-palestinien. Jusqu’où un établissement peut-il aller pour prévenir d’éventuels troubles ? Le risque de contestation suffit-il à justifier la censure d’une conférence ?
Un équilibre délicat entre liberté d’expression et maintien de l’ordre
La décision du Conseil d’État met en lumière la difficulté de trouver un juste équilibre entre deux principes fondamentaux mais parfois contradictoires : la liberté d’expression et le maintien de l’ordre public. Si la première est un pilier de notre démocratie, elle ne saurait être absolue et peut souffrir de restrictions dès lors qu’il existe un risque avéré de troubles. C’est ce qu’a estimé le juge des référés dans le cas de Rima Hassan, en s’appuyant notamment sur ses prises de position passées en faveur des mouvements de blocage des universités.
Mais cette appréciation reste éminemment subjective et sujette à caution. Pour les défenseurs de la liberté d’expression, le simple fait d’être une personnalité clivante ne devrait pas suffire à se voir refuser l’accès à une tribune dans un établissement d’enseignement supérieur, qui plus est pour débattre de sujets d’intérêt général. C’est un précédent dangereux qui risque de réduire les espaces de dialogue et de confrontation des idées pourtant essentiels à toute démocratie vivante.
Sciences Po, une école sous pression
Cette polémique intervient dans un contexte particulièrement tendu pour Sciences Po Paris. L’établissement a en effet été secoué ces derniers mois par une série de scandales, entre accusations de viols, d’islamophobie et de violences policières à l’encontre d’étudiants mobilisés. Une atmosphère délétère qui n’a pas manqué de peser dans la décision de sa direction d’interdire la conférence de Rima Hassan, de peur de voir la situation s’envenimer davantage.
Mais en cédant ainsi à la pression, au risque de restreindre la liberté d’expression, Sciences Po ne donne-t-il pas raison à ses détracteurs qui l’accusent de renier ses valeurs fondatrices ? C’est tout le paradoxe d’une école qui se veut à la pointe des débats de société mais qui peine aujourd’hui à incarner cet esprit de tolérance et d’ouverture qu’elle prône en théorie.
Un sujet qui divise au-delà des murs de l’université
Au final, l’affaire Rima Hassan est symptomatique des tensions qui traversent aujourd’hui non seulement le monde universitaire mais la société française dans son ensemble. La question palestinienne reste un sujet hautement inflammable qui déchaîne les passions et sur lequel il semble de plus en plus difficile d’avoir un débat apaisé et rationnel.
En voulant interdire cette conférence, Sciences Po pensait peut-être éteindre la polémique. Mais ce faisant, l’école n’a fait que l’attiser davantage, tout en renvoyant l’image d’une institution fébrilement repliée sur elle-même. Une posture pour le moins inconfortable pour un établissement qui ambitionne de former les élites de demain et de faire rayonner l’excellence à la française.
Au-delà du cas particulier de Rima Hassan, cette affaire pose la question de la place laissée au pluralisme des idées et au débat contradictoire dans nos universités. A trop vouloir prévenir les tensions et les dérapages, ne risque-t-on pas de stériliser la réflexion et de priver les étudiants de la possibilité de se confronter à des opinions diverses, y compris celles qui dérangent ? C’est tout l’enjeu d’une démocratie vivante que de savoir faire coexister la liberté et l’ordre, dans un équilibre toujours fragile mais essentiel.