Depuis trois mois, le procès des viols de Mazan secoue la ville d’Avignon. Au cœur des débats, un impensé de notre société : la reproduction de la violence incestueuse d’une génération à l’autre. Un quart des accusés affirment en effet avoir subi des agressions sexuelles dans leur enfance. Un cercle vicieux mis en lumière par ce procès hors norme.
Les fantômes de l’inceste planent sur le procès
Dans sa plaidoirie, Me Béatrice Zavarro, avocate de Dominique Pelicot, principal accusé, a évoqué le passé tourmenté de son client. Enfant, il aurait été violé par un infirmier lors d’une hospitalisation. Adolescent, il aurait assisté au viol collectif d’une jeune femme, un souvenir encore vivace. Des traumatismes enfouis resurgissent au fil des audiences.
Onze autres accusés rapportent des faits similaires : agressions sexuelles par un père, un oncle, un cousin… L’inceste, toile de fond de ce procès fleuve, interroge. Existe-t-il un lien entre la violence subie et la violence commise ?
L’inceste, un fléau sous-estimé
Selon une étude de l’Unicef, 2 enfants sur 10 seraient victimes de violences sexuelles avant leurs 18 ans, souvent dans le cadre familial. Un chiffre glaçant qui ne représente que la partie émergée de l’iceberg. La plupart des victimes gardent le silence, prisonnières de la honte et de la culpabilité.
On estime que seuls 10% des cas d’inceste sont révélés aux autorités. C’est un véritable enjeu de santé publique.
Dr Marie Bonnafé, pédopsychiatre
Les mécanismes complexes de la reproduction
Les experts s’accordent : être victime d’inceste augmente le risque de devenir agresseur, sans pour autant l’expliquer totalement. De nombreux facteurs entrent en jeu :
- L’intériorisation de schémas relationnels déviants
- Des carences affectives majeures
- Une confusion des repères moraux
- Le besoin inconscient de revanche…
Pour autant, la majorité des victimes ne basculent pas dans l’agression. Le lien n’est ni systématique, ni à sens unique. Les filles, bien que plus touchées, sont ainsi moins enclines à reproduire la violence.
Il n’y a pas de déterminisme. Chaque parcours est unique, modelé par une multitude de paramètres psychologiques et sociaux.
Muriel Salmona, psychiatre
Briser le silence, prévenir la répétition
Le procès de Mazan met en exergue l’urgence de libérer la parole autour de l’inceste. Pour les victimes, c’est le point de départ d’un long chemin de reconstruction. Pour la société, c’est un défi majeur de prévention et de prise en charge.
Des initiatives émergent, à l’image de la récente Commission indépendante sur l’inceste (Ciivise). Mais le tabou reste profondément ancré. Les révélations du procès d’Avignon nous rappellent l’ampleur du chantier à mener pour enrayer la spirale infernale de la violence incestueuse.
Tant que la honte et le déni prévaudront, les fantômes de l’inceste continueront de hanter les prétoires et de briser des vies. Il est temps d’ouvrir les yeux sur cette réalité dérangeante, pour mieux la combattre. Le procès historique de Mazan pourrait bien marquer un tournant dans cette prise de conscience collective.