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La Paix au Milieu du Chaos : Un Professeur Thaïlandais Peint la Guerre

À cinq kilomètres seulement des combats, un professeur thaïlandais continue de peindre sur les murs des bunkers alors que les obus tombent. Ses fresques montrent des soldats portant des blessés… Comment trouve-t-il la paix au milieu du chaos ?

Imaginez-vous à seulement cinq kilomètres d’une ligne de front où les obus sifflent nuit et jour. Les vitres tremblent, le sol vibre, et pourtant, un homme reste là, pinceau à la main, à transformer un bunker en œuvre d’art. Cette scène n’est pas tirée d’un film : elle se déroule en ce moment même à la frontière thaïlando-cambodgienne.

Quand l’art devient un refuge face à la guerre

Watthanachai Kamngam a 38 ans. Il enseigne la musique dans une école primaire située en pleine zone de conflit. Depuis le début de la semaine, les affrontements entre l’armée thaïlandaise et l’armée cambodgienne ont repris de plus belle. Vingt morts au moins, des centaines de blessés, plus de 600 000 personnes évacuées des deux côtés de la frontière. Pourtant, lui a choisi de rester.

Après avoir mis ses élèves en sécurité, il a pris ses pinceaux. Les murs gris des abris anti-bombes sont devenus sa toile. Des scènes saisissantes apparaissent peu à peu : des soldats portant des camarades blessés, des civils courant vers la protection, des regards mêlant peur et détermination.

« La paix au milieu du chaos. Tout le monde ne peut pas ressentir ça »

Watthanachai Kamngam

Une thérapie par la couleur au cœur des explosions

Le professeur l’avoue sans détour : oui, il a peur. Quand l’artillerie fait trembler les murs de l’école déserte, son cœur bat plus fort. Mais dès qu’il pose la première touche de couleur, quelque chose change.

« L’art m’aide à reprendre le contrôle de mes émotions », explique-t-il, casquette vissée sur la tête, en dessinant calmement la forme d’un obus qui, sous son pinceau, se transforme en symbole d’espoir. Ce n’est pas la première fois qu’il vit cela. En juillet déjà, lors d’un précédent épisode de cinq jours qui avait fait 43 morts, il avait commencé à peindre.

Ce passe-temps, devenu aujourd’hui une véritable nécessité, agit comme une soupape. Face à l’absurdité de la violence, créer devient une forme de résistance douce, presque spirituelle.

Des bunkers qui deviennent des lieux de vie

Un peu plus loin, d’autres abris fraîchement construits changent aussi la donne. Recouverts de sacs de sable bleus et blancs, ils offrent une protection bienvenue. Autour d’un petit feu, des familles préparent du riz gluant en discutant à voix basse. L’ambiance est étrangement chaleureuse.

Sommai Sisuk, agriculteur de 62 ans et vendeur de billets de loterie, fait partie de ceux qui ont refusé l’évacuation. « Lors des combats de juillet, on n’avait rien. Tout le monde courait dans tous les sens, paniqué. Aujourd’hui, on a ces bunkers. C’est solide, ça rassure », raconte-t-il.

Ces abris ne sont plus seulement des structures de béton : ils sont devenus des points de ralliement. Quand les tirs s’intensifient, des dizaines de personnes – enfants compris – s’y précipitent ensemble. Une forme de solidarité nouvelle est née dans la peur.

« Avoir ce bunker ici, ça change la vie. Quand ça tire fort, on court tous ensemble. C’est chaleureux, sûr et réconfortant. »

Sommai Sisuk

Une nuit sous les roquettes

Le soir tombe. Soudain, un cri : « Allez-y, vite ! » En quelques secondes, le bunker se remplit. Dehors, des traînées lumineuses zèbrent le ciel – des roquettes lancées depuis le côté cambodgien. Elles retombent quelque part, pas si loin.

À l’intérieur, on se serre. Les enfants se blottissent contre leurs parents. Quelques personnes prient à voix basse. Et pourtant, dans ce moment de tension extrême, la fresque inachevée de Watthanachai, visible sur le mur du fond, semble veiller sur tout le monde.

Cette image – des couleurs vives sur du béton brut, des scènes de guerre peintes avec douceur – résume tout. L’art ne stoppe pas les obus, mais il redonne un peu d’humanité là où elle risque de disparaître.

Un conflit ancien qui resurgit sans cesse

Le différend territorial autour du temple de Preah Vihear, classé au patrimoine mondial, empoisonne les relations entre la Thaïlande et le Cambodge depuis des décennies. Les accalmies sont toujours temporaires. Chaque flambée de violence rappelle que la paix reste fragile dans cette partie de l’Asie du Sud-Est.

Cette fois encore, des milliers de familles ont tout laissé derrière elles : maisons, champs, animaux. Ceux qui restent le font souvent par nécessité – surveiller un bétail, protéger une récolte – mais aussi parfois par attachement viscéral à leur terre.

Et dans ce chaos, des gestes simples prennent une force incroyable. Peindre un mur. Préparer un repas ensemble. Se serrer les uns contre les autres quand le ciel s’embrase. Ce sont ces petits actes qui permettent de tenir.

L’art comme témoignage pour l’Histoire

Watthanachai ne peint pas pour la gloire. Il peint parce qu’il veut que l’on se souvienne. « Je vis ces combats tous les jours. Je veux simplement immortaliser ce moment, montrer que c’est vraiment notre réalité », confie-t-il.

Ses fresques ne sont pas des œuvres de propagande. Elles montrent la souffrance des deux côtés, la peur universelle, le courage ordinaire des gens simples pris dans la tourmente. Un jour peut-être, quand la paix sera revenue pour de bon, ces murs racontaient encore ce que les mots seuls ne parviennent pas à dire.

En attendant, chaque touche de couleur est un acte de foi en l’avenir. Un refus de laisser la guerre voler toute beauté au monde.

Et demain ?

Personne ne sait quand les armes se tairont à nouveau. Les négociations patinent, les nationalismes s’exacerbent de part et d’autre. Mais sur ce petit bout de frontière, des hommes et des femmes continuent de vivre, d’aimer, de créer.

Ils nous rappellent une vérité simple et puissante : même au cœur de la tempête, l’être humain garde cette capacité incroyable à transformer la peur en beauté, la violence en couleurs, le chaos en un peu d’espoir.

Et parfois, un simple pinceau suffit à tracer la frontière entre désespoir et résilience.

Dans l’obscurité des bunkers, sous le grondement des canons, quelques traits de peinture rappellent que la lumière existe toujours. Quelque part, un professeur continue de croire que la beauté peut survivre à la guerre. Et tant qu’il peindra, l’espoir restera vivant.

Cette histoire, loin des grandes analyses géopolitiques, nous parle directement au cœur. Elle nous montre que même dans les moments les plus sombres, l’humanité trouve toujours un chemin pour s’exprimer. Et parfois, ce chemin passe par un pinceau et un mur de béton.

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