Comment un film discret sur la famille peut-il éclipser des œuvres engagées dans un festival aussi politique que la Mostra de Venise ? La 82e édition, qui s’est achevée le 7 septembre 2025, a couronné Jim Jarmusch avec le prestigieux Lion d’or, une récompense inattendue pour son œuvre introspective Father Mother Sister Brother. Dans un contexte marqué par des déclarations vibrantes sur le conflit à Gaza, cette victoire a surpris, tout en révélant la puissance du cinéma intimiste. Plongeons dans les temps forts de cette édition mémorable, où l’émotion, la politique et l’art se sont entrelacés.
Une Mostra sous le signe de l’émotion et de l’engagement
La Mostra de Venise 2025 n’a pas seulement été un rendez-vous du cinéma : elle a été une tribune où les voix du monde entier ont résonné. Dès l’ouverture, un collectif de cinéastes italiens a dénoncé la guerre à Gaza, déclenchée après l’attaque du Hamas en octobre 2023. Une manifestation massive sur le Lido a renforcé cet élan, rassemblant des milliers de personnes. Ce climat a donné une toile de fond intense à un festival qui, traditionnellement, célèbre les stars et les superproductions hollywoodiennes.
Pourtant, au milieu de ce tumulte, c’est un film sobre et poétique qui a conquis le jury présidé par Alexander Payne. Cette édition a prouvé que le cinéma peut être à la fois un miroir des crises mondiales et un refuge pour des récits universels. Mais comment un long-métrage comme celui de Jarmusch a-t-il réussi à se démarquer ?
Le triomphe inattendu de Jim Jarmusch
Father Mother Sister Brother, réalisé par Jim Jarmusch, est un triptyque qui explore les liens familiaux à travers trois villes : le New Jersey, Dublin et Paris. Porté par un casting prestigieux incluant Adam Driver, Cate Blanchett et Tom Waits, ce film se distingue par sa simplicité. Les dialogues y sont rares, laissant place à des silences éloquents, des gestes délicats et des regards qui en disent long.
« On n’a pas besoin de parler politique pour être politique. Ça peut mettre en danger l’empathie et la connexion entre les gens, qui est la première étape pour résoudre les problèmes. »
Jim Jarmusch, lors de la cérémonie de clôture
Ce choix stylistique, qualifié par le réalisateur de 72 ans d’“anti-film d’action”, a séduit par sa tendresse et son humanité. Arborant des lunettes noires et un pin’s “Enough”, Jarmusch a remercié le jury pour avoir su apprécier un “film discret”. Cette victoire marque un tournant pour le cinéma indépendant, souvent éclipsé par des productions plus tape-à-l’œil.
The Voice of Hind Rajab : un cri du cœur récompensé
Si Jarmusch a raflé le Lion d’or, un autre film a marqué les esprits : The Voice of Hind Rajab, réalisé par Kaouther Ben Hania. Ce long-métrage, qui a reçu le Lion d’argent, retrace l’histoire tragique d’une fillette palestinienne, tuée dans une voiture criblée de balles à Gaza en janvier 2024. Basé sur des enregistrements authentiques de ses appels au secours, le film a bouleversé le public, recevant une ovation de 23 minutes.
« C’est l’histoire tragique de tout un peuple souffrant d’un génocide infligé par un gouvernement israélien criminel qui agit avec impunité. »
Kaouther Ben Hania, sur scène
Ben Hania, qui considère Jarmusch comme une inspiration, a dédié son prix aux travailleurs du Croissant-Rouge palestinien. Elle a insisté sur l’importance de diffuser ce film pour maintenir l’attention sur la crise à Gaza. Cette œuvre, à la fois documentaire et cri de révolte, a transformé la Mostra en un espace de mémoire et de résistance.
Un festival aux accents hollywoodiens
La Mostra de Venise est souvent vue comme une rampe de lancement pour les Oscars, et cette édition n’a pas dérogé à la règle. Parmi les films en compétition, The Smashing Machine de Benny Safdie a valu à ce dernier le prix du meilleur réalisateur. Ce biopic sur un combattant de MMA, porté par Dwayne Johnson, a impressionné par sa profondeur et son intensité.
Côté acteurs, l’Italien Toni Servillo a été récompensé pour son rôle dans La Grazia, réalisé par Paolo Sorrentino. Ce film, qui aborde subtilement le thème de l’euthanasie, confirme la collaboration fructueuse entre les deux hommes, déjà célébrée avec La Grande Bellezza. De son côté, la Chinoise Xin Zhilei a remporté la coupe Volpi de la meilleure actrice pour son interprétation dans The Sun Rises on Us All.
Prix | Récipiendaire | Film |
---|---|---|
Lion d’or | Jim Jarmusch | Father Mother Sister Brother |
Lion d’argent | Kaouther Ben Hania | The Voice of Hind Rajab |
Meilleur réalisateur | Benny Safdie | The Smashing Machine |
Meilleur acteur | Toni Servillo | La Grazia |
Meilleure actrice | Xin Zhilei | The Sun Rises on Us All |
Gaza au cœur des débats
Le conflit à Gaza a dominé les discussions tout au long du festival. Des gestes symboliques, comme le pin’s “Enough” porté par Jarmusch, aux discours enflammés, comme celui de Ben Hania, les cinéastes ont utilisé leur visibilité pour appeler à la paix. La cérémonie de clôture s’est achevée sur un message poignant de l’archevêque Pierbattista Pizzaballa, patriarche de Jérusalem, qui a plaidé pour l’arrêt immédiat de la guerre.
« Nous le savons, cela n’a plus de sens de continuer. Il est temps d’arrêter cette dérive. »
Pierbattista Pizzaballa, en visioconférence
Ces interventions ont rappelé que le cinéma n’est pas seulement un art, mais aussi un vecteur de messages puissants. La Mostra 2025 a su équilibrer l’éclat des stars et la gravité des enjeux mondiaux, offrant une plateforme où chaque voix compte.
Pourquoi cette édition marque-t-elle un tournant ?
La Mostra de Venise 2025 restera dans les mémoires pour son audace. En couronnant un film intimiste comme celui de Jarmusch tout en mettant en lumière des œuvres engagées, elle a prouvé que le cinéma peut être à la fois contemplatif et militant. Voici les éléments clés de cette édition :
- Diversité des récits : Des films indépendants aux superproductions, la programmation a reflété la richesse du cinéma mondial.
- Engagement politique : Gaza a été un fil rouge, avec des appels à la paix et à la justice.
- Consécration des talents : De Jarmusch à Ben Hania, le festival a célébré des visions uniques.
- Émotion brute : Des ovations interminables aux discours vibrants, l’émotion était palpable.
En récompensant des œuvres aussi différentes que Father Mother Sister Brother et The Voice of Hind Rajab, le festival a envoyé un message clair : le cinéma est un art qui transcende les frontières, qu’elles soient géographiques ou thématiques. Cette édition a su captiver, émouvoir et provoquer, tout en rappelant le pouvoir des histoires bien racontées.
Un tremplin pour les Oscars ?
La Mostra est souvent un indicateur des tendances pour les Oscars, et 2025 ne fait pas exception. Le Lion d’or de Jarmusch pourrait propulser Father Mother Sister Brother sur le devant de la scène internationale. De même, le prix de Safdie et les performances de Servillo et Xin Zhilei pourraient marquer les esprits à Hollywood. Mais au-delà des récompenses, c’est l’impact émotionnel de films comme celui de Ben Hania qui pourrait laisser une trace durable.
Le festival a également mis en lumière des thématiques universelles : la famille, la résilience, la justice. Ces sujets, portés par des réalisateurs audacieux, résonnent avec un public mondial. La Mostra 2025 a ainsi renforcé son statut de carrefour du cinéma, où l’art et l’actualité se rencontrent.
Un appel à l’action
En clôturant cette édition, les organisateurs et les participants ont insisté sur l’importance de l’art comme vecteur de changement. Que ce soit à travers le regard tendre de Jarmusch sur la famille ou le cri de révolte de Ben Hania, le cinéma a prouvé qu’il peut toucher les cœurs et ouvrir les esprits. La Mostra de Venise 2025 nous laisse avec une question : comment les films peuvent-ils continuer à inspirer et à mobiliser face aux crises du monde ?
En attendant les réponses, une chose est sûre : cette édition restera gravée comme un moment où le cinéma a su allier beauté, émotion et engagement. Et vous, quel film de la Mostra 2025 vous intrigue le plus ?