Imaginez une frontière fermée depuis plus de soixante jours, un pont stratégique devenu fantôme, et soudain le ronronnement des moteurs qui reprend. Mercredi matin, le poste d’Allenby, seul lien direct entre la Cisjordanie et la Jordanie pour les Palestiniens, a retrouvé un peu de vie. Pas encore pour les voyageurs ordinaires, mais pour quelque chose de bien plus vital : l’aide humanitaire destinée à la bande de Gaza.
Un pont rouvert sous haute tension
Le poste-frontière, connu des Palestiniens sous le nom d’Al-Karama et des Israéliens sous celui d’Allenby ou pont du roi Hussein, avait été brutalement fermé début septembre. Un chauffeur jordanien, censé transporter de l’aide vers Gaza, avait ouvert le feu, tuant deux soldats israéliens. La réponse fut immédiate : fermeture totale pour les camions humanitaires et demande pressante à Amman de suspendre ces convois.
Deux mois plus tard, le silence est rompu. Les autorités israéliennes ont confirmé la reprise progressive du transit. « Le point de passage d’Allenby était ouvert aujourd’hui et des camions circulent », a déclaré un porte-parole du COGAT, l’organisme chargé des affaires civiles dans les territoires palestiniens. Une source palestinienne anonyme a corroboré l’information : les premiers véhicules ont bien franchi la ligne.
Des matériaux de construction en priorité
Ce ne sont pas des denrées alimentaires ou des médicaments qui ouvrent le bal, mais des produits indispensables à la reconstruction. Mardi déjà, 96 camions chargés de clinker – ce composant essentiel du ciment – avaient été autorisés à passer. Mercredi, vingt camions supplémentaires ont suivi. Et jeudi, c’est du sable qui doit transiter, toujours pour le secteur du bâtiment.
Ces chiffres peuvent sembler modestes face à l’ampleur des besoins à Gaza, où des quartiers entiers restent en ruines après des années de conflit et de blocus. Pourtant, ils représentent un signal. Un signal prudent, surveillé, mais réel.
« Tous les camions d’aide humanitaire à destination de la bande de Gaza seront escortés et sécurisés, après avoir subi un contrôle de sécurité approfondi »
Responsable israélien, mardi
Une sécurité renforcée à chaque étape
L’attaque de septembre a laissé des traces. Israël ne prend plus aucun risque. Chaque véhicule est désormais fouillé avec une minutie accrue. Des escortes armées accompagnent les convois dès la frontière jordanienne jusqu’à leur entrée dans Gaza via d’autres points de passage. Le message est clair : l’aide passe, mais seulement si la sécurité est absolue.
Ce dispositif, s’il rassure d’un côté, ralentit considérablement le flux. Là où des centaines de camions pouvaient autrefois transiter chaque semaine, on parle aujourd’hui de quelques dizaines. Une goutte d’eau dans l’océan des besoins, mais une goutte qui n’existait plus depuis deux mois.
Pourquoi Allenby est-il si stratégique ?
Situé dans la vallée du Jourdain, ce pont n’est pas une frontière comme les autres. Pour les Palestiniens de Cisjordanie, c’est la seule porte de sortie internationale sans devoir transiter par le territoire israélien proprement dit – une humiliation quotidienne évitée. Pour l’aide humanitaire en provenance du monde arabe, et particulièrement de Jordanie, c’est l’itinéraire le plus direct et le moins coûteux.
Quand il est fermé, les organisations doivent contourner par le nord de la Cisjordanie ou passer par l’Égypte, avec des délais et des coûts multipliés. La réouverture, même partielle, change donc la donne logistique pour toute l’aide régionale destinée à Gaza.
Entre espoir et prudence
Personne n’ose crier victoire trop vite. L’histoire récente est remplie de réouvertures suivies de nouvelles fermetures brutales. Un incident, une roquette, une déclaration politique intempestive, et tout peut basculer à nouveau. Pourtant, dans les bureaux des ONG et parmi les familles gazaouies qui attendent toujours de reconstruire leurs maisons, ce petit convoi de clinker et de sable fait naître une lueur.
Car à Gaza, reconstruire n’est pas un luxe. C’est une question de survie. Chaque sac de ciment, chaque tonne de sable compte. Et si Allenby reste ouvert ne serait-ce que quelques mois, des milliers de familles pourraient enfin envisager de sortir des abris précaires où elles vivent depuis trop longtemps.
Pour l’instant, le pont respire à nouveau. Sous surveillance, sous condition, mais il respire. Et parfois, dans cette région du monde, c’est déjà beaucoup.
Résumé des premiers jours de réouverture :
• Mardi : 96 camions de clinker
• Mercredi : 20 camions supplémentaires
• Jeudi prévu : transit de sable pour la construction
• Mesures : contrôle renforcé et escorte armée systématique
La route est encore longue, mais pour la première fois depuis septembre, elle n’est plus totalement coupée.









