Imaginez : vous entrez dans une concession automobile en 2036 et vous pouvez encore repartir au volant d’une voiture neuve qui sent l’essence. Impensable il y a encore deux ans. Pourtant, c’est exactement le scénario qui pourrait se produire si les propositions que Bruxelles dévoile ces jours-ci sont adoptées.
2035 : la date qui faisait trembler toute l’industrie automobile européenne
Retour en 2023. Après d’âpres négociations et un veto surprise de l’Allemagne à la dernière minute, l’Union européenne adopte l’une des mesures les plus ambitieuses de son Green Deal : à partir du 1er janvier 2035, plus aucune voiture neuve émettant du CO₂ en roulant ne pourra être vendue sur le territoire européen.
Autrement dit : exit les moteurs essence, diesel et même les hybrides classiques. Seules les voitures 100 % électriques (ou à hydrogène) resteront autorisées. Un choc pour une révolution une menace existentielle, selon le camp dans lequel on se place.
Mais dès l’origine, une petite phrase discrète avait été glissée dans le texte : une « clause de revoyure » prévue en 2026. Personne n’imaginait alors qu’elle serait déclenchée avec trois ans d’avance.
Pourquoi Bruxelles fait marche arrière (ou presque)
« Les objectifs d’émission carbone pour les véhicules ne sont pas réalistes » > Association des constructeurs européens (ACEA)
La réalité a rattrapé les ambitions. Les ventes de voitures électriques patinent dans plusieurs grands pays, les infrastructures de recharge restent insuffisantes, les prix trop élevés pour la majorité des ménages et, surtout, la concurrence chinoise déferle avec des modèles performants à des tarifs défiant toute concurrence.
Résultat : les stocks de véhicules thermiques s’accumulent, les usines tournent au ralenti (notamment en Allemagne), et les appels au secours des constructeurs se multiplient. Berlin, Rome et plusieurs pays d’Europe de l’Est montent au créneau. Même la France, pourtant fer de lance du tout-électrique, commence à parler de « flexibilités ».
Quels assouplissements sont réellement sur la table ?
Première piste, et pas la moindre : autoriser après 2035 les hybrides rechargeables et les véhicules équipés de prolongateurs d’autonomie (range extender). Concrètement, cela signifie qu’une voiture pourrait toujours embarquer un petit moteur thermique… à condition qu’il serve uniquement à recharger la batterie en roulant.
Deuxième option : ouvrir la porte aux carburants de synthèse et aux agrocarburants considérés comme neutres en carbone. Une victoire potentielle pour l’Italie et les filières agricoles, mais un cauchemar pour les associations écologistes qui dénoncent l’impact sur les sols et la dépendance aux importations.
En France, 70 % des agrocarburants sont importés. Continuer à les promouvoir reviendrait, pour certains experts, à troquer une dépendance au pétrole contre une dépendance agricole extérieure.
Les constructeurs européens sont-ils tous sur la même longueur d’onde ?
Non. Et c’est peu dire.
Ceux qui ont massivement investi dans l’électrique (comme Volkswagen après le Dieselgate ou Renault avec sa gamme E-Tech) aimeraient que l’objectif 2035 reste gravé dans le marbre. Reporter l’échéance ou ouvrir des brèches risquerait de dévaloriser des centaines de milliards d’euros d’investissements.
À l’inverse, les marques premium allemandes (Mercedes, BMW, et dans une moindre mesure Audi) traînent des pieds. Leurs clients aisés restent très attachés aux gros moteurs thermiques, et leurs usines tournent encore majoritairement à l’essence et au diesel.
Stellantis (Peugeot, Citroën, Fiat, Opel) navigue entre les deux eaux : le groupe a déjà annoncé qu’il serait 100 % électrique en Europe en 2030… mais il garde précieusement des usines en Italie et en Europe de l’Est prêtes à relancer des modèles thermiques si jamais la réglementation s’assouplit.
Le lobby de l’électrique ne lâche rien
Face aux constructeurs historiques, tout un écosystème s’est structuré autour de l’électrification : fabricants de batteries (Northvolt, ACC, Verkor), opérateurs de bornes de recharge, électriciens…
Leur message est clair :
« Revenir sur ces objectifs fragiliserait la souveraineté énergétique, le leadership industriel et la crédibilité climatique de l’UE »
Union Française de l’Électricité (UFE)
Pour eux, tout assouplissement serait un cadeau empoisonné fait à la Chine (qui domine déjà 80 % de la production mondiale de batteries) et aux pétromonarchies.
La position française : entre principes et réalisme
Paris a longtemps défendu bec et ongles le tout-électrique aux côtés de l’Espagne et des pays nordiques. Mais le ton a changé.
Dans une lettre envoyée cette semaine aux commissaires européens, le gouvernement se dit prêt à accepter des « flexibilités »… à condition qu’elles aillent de pair avec une préférence européenne marquée : 75 % de la valeur ajoutée des véhicules (pièces, batteries, logiciels) devra être produite en Europe.
Une manière habile de protéger les équipementiers français et allemands face à la déferlante de fournisseurs chinois low-cost.
Les risques d’un recul : l’avis des experts
Plusieurs spécialistes tirent la sonnette d’alarme.
D’abord, maintenir plusieurs technologies en parallèle augmente mécaniquement les coûts de développement et de production. Les constructeurs risquent de se retrouver avec des catalogues ingérables.
Ensuite, l’incertitude réglementaire nourrit l’attentisme des acheteurs : pourquoi investir dans une électrique aujourd’hui si une belle thermique neuve reste disponible demain ?
Enfin, comme le résume Diane Strauss de l’ONG Transport & Environment :
« Va-t-on opter pour la stratégie Highlander, du dernier qui se fait couper la tête ? Entre la Chine et ses électriques, et le pétrole que veulent nous vendre les États-Unis et l’Arabie saoudite, faut-il vraiment s’accrocher à nos vieilles technologies ? »
Et maintenant ?
La Commission présente ses propositions dans les prochains jours. Elles devront ensuite être négociées avec le Parlement européen et les 27 États membres – un parcours semé d’embûches.
Ce qui est certain, c’est que la décision qui sera prise aura des répercussions pendant des décennies : sur nos routes, sur nos usines, sur notre indépendance énergétique et sur le climat.
Une chose est sûre : 2035 ne sera plus jamais tout à fait la date butoir qu’on croyait. Reste à savoir jusqu’où l’Europe est prête à plier sans rompre.
L’avenir de l’automobile européenne se joue maintenant.
Et vous, pensez-vous que maintenir l’interdiction totale est encore réaliste ? Ou faut-il laisser une chance aux technologies hybrides et carburants alternatifs ?









