Les images sont apocalyptiques. Des pluies d’une rare intensité se sont abattues sur le sud-est de l’Espagne, transformant les rues en torrents de boue, emportant tout sur leur passage. Maisons éventrées, voitures charriées comme des brindilles, arbres déracinés… C’est un véritable déluge qui a frappé les régions de Valence et Murcie, un épisode d’une violence inédite qui a pris tout le monde de court.
Selon les services météorologiques espagnols, il est tombé en seulement 24 heures l’équivalent de plusieurs mois de précipitations, battant tous les records enregistrés jusqu’ici. Un véritable mur d’eau s’est abattu sur ces régions, provoquant des crues éclair dévastatrices.
Un phénomène météo extrême : la “goutte froide”
Comment expliquer une telle déferlante ? Les experts pointent du doigt un phénomène bien connu des météorologues : la “goutte froide”. Il s’agit d’une masse d’air froid en altitude qui vient à la rencontre d’un air plus chaud à basse altitude. Plus le contraste de températures est important, plus le phénomène est violent.
Dans le cas présent, les experts parlent même de “goutte froide du siècle”, tant l’intensité était extrême. Selon Evelyne Dhéliat, cheffe du service météo de TF1 :
Actuellement, la Méditerranée est encore à une température élevée, donc beaucoup d’évaporation, beaucoup d’humidité, qui, en arrivant en altitude et à la rencontre d’air froid, donnent des pluies, donc de très fortes pluies.
Réchauffement climatique et urbanisation en cause
Si ce phénomène est récurrent en automne, les spécialistes s’accordent à dire qu’il est exacerbé par le réchauffement climatique. L’augmentation des températures favorise l’évaporation en Méditerranée, chargeant d’humidité des masses d’air qui causent des précipitations plus intenses.
Mais le dérèglement climatique n’est pas le seul facteur aggravant. L’urbanisation galopante des littoraux espagnols joue aussi un rôle majeur, comme l’explique Emma Haziza, hydrologue :
La bétonisation des villes a une importance cruciale dans les images que l’on voit, parce qu’on comprend qu’on n’a plus, depuis des décennies, laissé la place à l’eau pour pouvoir s’écouler dans nos villes.
En imperméabilisant les sols, en construisant dans des zones inondables, en sous-dimensionnant les réseaux d’évacuation, l’homme aggrave les conséquences de ces épisodes météo extrêmes. Les eaux n’ont plus d’exutoires naturels et se déversent de façon incontrôlable.
Un bilan humain très lourd
Cette “goutte froide du siècle” a eu des conséquences humaines dramatiques. Selon un bilan encore provisoire, on déplore plus de 70 morts et des dizaines de disparus. Des quartiers entiers ont été dévastés, des milliers d’habitations endommagées ou détruites. Les dégâts matériels sont incalculables.
Face à cette catastrophe, le gouvernement espagnol a décrété trois jours de deuil national. Le président Pedro Sanchez a appelé à la prudence, le phénomène n’étant pas terminé :
Cette situation d’urgence va se poursuivre. C’est pourquoi je vous demande de rester vigilant. Le phénomène climatique continue à faire des ravages.
De nouvelles pluies diluviennes sont en effet attendues dans les prochains jours. Les services de secours sont sur le qui-vive et multiplient les appels à la prudence.
Repenser l’aménagement du territoire
Au-delà de l’urgence, cette catastrophe pose question sur notre rapport au territoire et à l’environnement. Avec le changement climatique qui s’accélère, ces épisodes météo extrêmes risquent de se multiplier et de s’intensifier.
Il est urgent de repenser en profondeur l’aménagement du territoire, en tenant compte de ces nouveaux risques. Cela passe par une meilleure gestion des sols, une limitation de l’artificialisation, une révision des plans d’urbanisme, un renforcement des normes de construction…
C’est tout un modèle de développement qui est à revoir. Les pouvoirs publics, les urbanistes, les promoteurs, mais aussi chaque citoyen, doivent prendre conscience de l’ampleur du défi. Car si rien ne change, les drames comme celui qui frappe actuellement l’Espagne risquent de devenir notre quotidien.
Face au dérèglement climatique, il est temps d’inventer de nouveaux modes d’habiter notre planète, plus résilients, plus respectueux des équilibres naturels. C’est une question de survie.
