Imaginez un instant : vous êtes commissaire-priseur, prêt à mettre aux enchères un tableau attribué à un peintre méconnu pour la modique somme de 1500€. Soudain, le téléphone sonne – c’est le Prado, célèbre musée madrilène, qui vous ordonne de stopper la vente. L’œuvre que vous vous apprêtiez à brader serait en réalité… un authentique Caravage, l’un des plus grands maîtres de la peinture baroque italienne ! Voici l’incroyable histoire de la résurrection d’un chef-d’œuvre oublié.
La découverte miraculeuse d’un Ecce Homo
C’est un tableau de petit format, une huile sur toile de 54,6 cm sur 44,8 cm. Il représente le Christ, les mains liées, la tête ceinte d’une couronne d’épines, présenté à la foule par Ponce Pilate. Une scène de la Passion typique de l’iconographie chrétienne, appelée Ecce Homo (“voici l’homme” en latin). Mais celui-ci, loin d’être une banale représentation du Christ souffrant, arbore le style si particulier du Caravage, maître du clair-obscur qui révolutionna la peinture baroque au début du XVIIe siècle.
Pourtant, ce tableau avait été attribué… à un disciple espagnol bien moins connu, José de Ribera. Jusqu’à ce qu’en avril 2021, la maison de ventes qui s’apprêtait à le céder aux enchères ne reçoive un coup de fil affolé du musée du Prado. Les plus grands experts venaient en effet d’identifier formellement l’œuvre comme un authentique Caravage, une découverte exceptionnelle !
La redécouverte de cette peinture est “un événement important” car “cela faisait plus de 45 ans” qu’on n’avait plus identifié de nouvelle ‘oeuvre du Caravage’
David Garcia Cueto, responsable peinture italienne du Prado
Sauvé in extremis de la banalité des enchères
Passé entre les mailles des filets des historiens de l’art pendant des siècles, cet Ecce Homo avait bien failli finir sa course… sur un site de vente aux enchères en ligne, estimé à une ridicule somme de 1500€ ! Heureusement, l’intervention de dernière minute du Prado a permis de bloquer la vente.
Sa provenance a depuis pu être retracée : il faisait partie des collections royales espagnoles au XVIIe siècle, avant d’être légué à l’Académie royale des Beaux-Arts de San Fernando. Puis il a été acquis par un homme d’État espagnol au début du XIXe, avant d’être transmis à ses descendants. C’est ainsi que ce chef-d’œuvre, oublié de tous, a pu passer entre les gouttes pendant si longtemps !
Un joyau restauré exposé au public
Désormais authentifié, restauré et étudié sous toutes les coutures – radiographies, analyses stylistiques, etc. – cet Ecce Homo du Caravage a retrouvé toute sa superbe. Le musée du Prado a l’immense privilège de pouvoir l’exposer au public pendant 9 mois, grâce au prêt généreux de son nouveau propriétaire.
Une sublime occasion de redécouvrir un artiste aussi fascinant que son œuvre. Car la vie du Caravage (1571-1610), faite de scandales, de fuites et de drames, est à la hauteur de son génie artistique. Un maître qui aura lui aussi connu l’oubli avant de renaître de ses cendres au XXe siècle et d’être consacré comme l’un des plus grands peintres de son temps.
Qu’adviendra-t-il de cette peinture une fois passés les neuf mois d’exposition ? C’est une oeuvre privée donc son propriétaire aura le dernier mot.
Miguel Falomir, directeur du musée du Prado
Une chose est sûre : avoir frôlé le pire aura finalement permis le meilleur, en ressuscitant de l’oubli ce trésor de l’art baroque. Un miracle digne de la Passion du Christ, thème de ce tableau longtemps méprisé qui aujourd’hui, fascine à nouveau le monde entier. Car c’est cela aussi, la magie d’un Caravage…