Un « accord historique » entre l’île Maurice et le Royaume-Uni sur la souveraineté de l’archipel des Chagos se retrouve aujourd’hui sur la sellette. Le nouveau Premier ministre mauricien Navin Ramgoolam vient en effet d’émettre des « contre-propositions » de dernière minute, relançant ainsi les négociations autour du statut de ce territoire stratégique de l’océan Indien.
Un accord remis en question
En octobre dernier, Londres avait annoncé triomphalement être parvenu à un « accord historique » avec l’île Maurice concernant l’archipel des Chagos, dont la souveraineté était âprement disputée depuis son acquisition par le Royaume-Uni en 1965. Le texte, fruit de deux années de négociations, devait notamment permettre aux Britanniques de conserver leur base militaire commune avec les États-Unis sur l’île de Diego Garcia.
Mais voilà qu’à peine un mois après son arrivée au pouvoir suite à une victoire électorale écrasante, le nouveau chef du gouvernement mauricien Navin Ramgoolam vient jeter un pavé dans la mare. Lors d’une intervention au Parlement ce mardi, il a en effet exprimé ses doutes quant à cet accord qui n’a pas encore été ratifié :
Si l’île Maurice « est toujours disposée à conclure un accord avec le Royaume-Uni, le projet d’accord qui nous a été présenté après les élections générales est un projet qui, à notre avis, ne produirait pas les avantages que la nation pourrait attendre d’un tel accord »
Navin Ramgoolam, Premier ministre de l’île Maurice
Sans donner plus de détails sur la teneur de ces fameuses « contre-propositions », M. Ramgoolam a indiqué que Londres y avait déjà répondu en début de semaine et que l’exécutif mauricien était actuellement en train d’examiner cette réponse.
Une volte-face inattendue
Cette prise de position du nouveau gouvernement mauricien constitue un véritable coup de théâtre. L’accord annoncé en grande pompe en octobre dernier avait en effet marqué un tournant significatif dans ce dossier ultrasensible, le Royaume-Uni acceptant pour la première fois de reconnaître la souveraineté de l’île Maurice sur cet archipel après des décennies de rejet catégorique des revendications mauriciennes.
Selon la déclaration commune publiée à l’époque par les deux pays, le traité final devait garantir notamment le maintien de la base militaire américano-britannique de Diego Garcia « pendant une bonne partie du siècle prochain ». Un point crucial pour Londres et Washington, qui considèrent cet avant-poste comme un maillon essentiel de leur dispositif militaire dans la région indo-pacifique.
Un dossier complexe et sensible
Pour bien comprendre les enjeux de ce bras de fer diplomatique, il faut remonter à 1965. Cette année-là, le Royaume-Uni rachète l’archipel des Chagos pour 3 millions de livres aux autorités mauriciennes de l’époque, avant d’en conserver le contrôle après l’indépendance de l’île Maurice trois ans plus tard.
En 1966, les Britanniques signent un bail de 50 ans avec les États-Unis, les autorisant à utiliser l’île de Diego Garcia à des fins militaires. S’ensuit alors, entre 1968 et 1973, l’expulsion progressive de l’ensemble des 2000 habitants de l’archipel, décrits dans un câble diplomatique britannique de l’époque comme de simples « Tarzans et Vendredis ».
Depuis, la base de Diego Garcia a joué un rôle stratégique majeur pour les opérations militaires américaines et britanniques, servant notamment de hub pour les bombardiers et navires déployés pendant les guerres d’Afghanistan et d’Irak. Un atout que Londres et Washington ne semblent pas prêts à lâcher, malgré les pressions internationales croissantes en faveur d’une rétrocession complète à l’île Maurice.
Vers de nouvelles négociations ?
En rouvrant ainsi le dossier, le nouveau gouvernement mauricien espère manifestement obtenir des concessions supplémentaires de la part de Londres. Reste à savoir jusqu’où les Britanniques seront prêts à aller pour préserver leur précieuse base de Diego Garcia.
Selon des sources proches du dossier, les « contre-propositions » mauriciennes porteraient notamment sur les modalités de retour des Chagossiens expulsés et sur un éventuel partage des revenus générés par la location de la base militaire. Des points qui risquent de faire grincer des dents côté britannique.
Quoi qu’il en soit, ces développements de dernière minute montrent que le feuilleton diplomatique des Chagos est loin d’être terminé. Après plus d’un demi-siècle de contentieux, l’avenir de cet archipel paradisiaque mais hautement stratégique semble plus que jamais en suspens. De nouvelles négociations ardues s’annoncent entre Port-Louis et Londres, avec en toile de fond les intérêts géopolitiques des grandes puissances dans cette région clé de l’océan Indien.