Il est un peu plus de minuit, samedi 7 décembre 2025, à Gruson, paisible commune du Nord à deux pas de Lille. La rue est déserte, les pavés luisent sous une fine pluie d’hiver. Devant le restaurant L’Arbre, établissement emblématique posé sur le mythique parcours de Paris-Roubaix, un grand camping-car blanc est stationné. À l’intérieur, Benoît Bernard, 48 ans, chef talentueux qui a repris l’affaire en septembre, dort profondément après une longue journée de service. Rien ne laisse présager l’horreur qui va suivre.
Une nuit qui bascule en cauchemar
Vers 1 h 30 du matin, plusieurs silhouettes surgissent de l’obscurité. Armés, le visage masqué, ils forcent la porte du camping-car avec une violence inouïe. Benoît Bernard est réveillé en sursaut. Avant même qu’il ne puisse réagir, les coups pleuvent. Les agresseurs sont persuadés d’avoir affaire à une « caverne d’Ali Baba ». Ils hurlent, menacent, frappent. Ils veulent l’argent de la caisse, les recettes du week-end, tout ce qu’un restaurant qui marche bien peut cacher selon eux.
Mais la réalité est bien différente. L’Arbre a rouvert il y a seulement trois mois. Les clients paient majoritairement par carte bancaire. La caisse ne contient que quelques centaines d’euros en espèces. Une misère pour des individus prêts à tout.
« Ils s’imaginaient que c’était la caverne d’Alibaba, alors que le restaurant a ouvert récemment et que les clients payent en grande partie par carte bancaire », confie Me Emmanuel Riglaire, l’avocat du chef.
Des heures de torture pour presque rien
Pendant de longues heures, Benoît Bernard va vivre l’enfer. Attaché, bâillonné, frappé à coups de crosse et d’objets contondants, brûlé, menacé d’une arme sur la tempe. Les agresseurs fouillent chaque recoin du camping-car, retournent le restaurant, cassent tout sur leur passage. Leur rage grandit à mesure qu’ils réalisent qu’il n’y a rien à voler de conséquent.
La scène est d’une sauvagerie rare. Le chef, connu dans la région pour sa cuisine raffinée et son engagement local, se retrouve réduit à un otage dans son propre véhicule, à quelques mètres de son rêve tout juste concrétisé.
Finalement, vers 5 heures du matin, les malfaiteurs abandonnent. Ils laissent Benoît Bernard vivant, mais profondément choqué, couvert de sang et de brûlures. Il parvient à donner l’alerte. Les secours arrivent rapidement, suivis des enquêteurs.
Une enquête immédiatement confiée aux meilleurs limiers
Le parquet de Lille ouvre dans la foulée une enquête en flagrance pour :
- Séquestration avec libération volontaire avant le septième jour en vue de faciliter un crime ou un délit
- Vol avec arme en bande organisée
- Tortures et actes de barbarie
Les investigations sont confiées à la Brigade criminelle de la Brigade de recherches de Douai, renforcée par la Section de recherches de Lille. Les techniciens en identification criminelle passent le camping-car et le restaurant au peigne fin : traces ADN, empreintes, images de vidéosurveillance des environs… Tout est exploité.
À l’heure où ces lignes sont écrites, aucune interpellation n’a encore été annoncée, mais les enquêteurs semblent confiants. Ce type d’agression ultra-violente laisse forcément des traces.
L’Arbre, un lieu chargé d’histoire devenu scène de crime
Le restaurant L’Arbre n’est pas n’importe quel établissement. Posé à l’entrée de Gruson, il est une halte mythique pour les coureurs et les suiveurs de Paris-Roubaix. Des générations de champions y ont fêté leurs victoires ou pansé leurs défaites autour d’un bon repas. Benoît Bernard, passionné de vélo et de gastronomie, avait fait de sa reprise un projet de vie.
En trois mois seulement, il avait réussi à redonner vie au lieu : carte inventive, produits locaux, ambiance chaleureuse. Les clients affluaient. Le bouche-à-oreille fonctionnait à plein régime. Tout ça pour se retrouver, un soir d’hiver, ligoté et torturé devant son propre restaurant.
Un phénomène qui dépasse le fait divers isolé
Cette agression n’est malheureusement pas un cas unique. Ces dernières années, les restaurateurs, perçus comme détenant des liquidités importantes, sont devenus des cibles privilégiées. Mais ce qui choque ici, c’est l’extrême violence déployée pour un maigre butin.
On se souvient de l’agression au cutter d’un restaurateur lillois en 2023, ou des home-jackings visant des commerçants aisés dans la métropole lilloise. À chaque fois, le même schéma : des bandes organisées, souvent venues d’autres régions, qui agissent avec une froide détermination.
Ce qui frappe aussi, c’est le sentiment d’impunité. Attaquer un homme endormi dans son camping-car, devant son commerce, en pleine nuit, dans une commune tranquille… Il y a encore dix ans, cela aurait paru impensable.
Le choc dans la commune et dans la profession
À Gruson, c’est la sidération. Les habitants, qui connaissaient tous Benoît Bernard de vue ou de réputation, n’arrivent pas à y croire. « On se croirait dans un film », confie une riveraine. « Ici, on laisse encore sa porte ouverte… enfin, on laissait. »
Dans le milieu de la restauration, la nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre. Nombreux sont les chefs qui, dans le Nord et au-delà, qui dorment désormais sur place dans leur camping-car ou leur appartement au-dessus du restaurant. Ils étaient déjà une cible potentielle. Ils se sentent désormais en danger permanent.
Un chef étoilé de la région, sous couvert d’anonymat, témoigne : « On bosse quinze heures par jour, on investit toutes nos économies, et on finit par avoir peur de dormir sur place. C’est insensé. »
Et maintenant ?
Benoît Bernard est toujours hospitalisé. Les séquelles physiques et surtout psychologiques seront longues à cicatriser. Son avocat indique qu’il « va mettre plusieurs mois, voire plusieurs années, à s’en remettre ». Quant à L’Arbre, il reste fermé jusqu’à nouvel ordre.
Mais le chef, connu pour son courage et sa détermination, a déjà fait savoir qu’il ne baissera pas les bras. « Il reprendra son restaurant, c’est certain », assure son entourage. « Il ne laissera pas une bande de voyous détruire ce qu’il a construit. »
En attendant, l’enquête suit son cours. Et la question reste entière : comment en est-on arrivé là ? Comment une violence aussi gratuite a-t-elle pu s’installer au cœur d’une commune paisible des Flandres ?
Une chose est sûre : cette nuit-là, à Gruson, quelque chose s’est définitivement brisé.
Ce genre d’agression ne doit cesser. Les restaurateurs, les commerçants, les artisans ne peuvent plus être des proies faciles. Il est temps que l’État prenne la mesure du problème et renforce la sécurité autour des zones commerciales, même dans les petites communes.
Parce qu’aujourd’hui c’est Benoît Bernard. Demain, ça pourrait être n’importe qui.
L’histoire de cette nuit d’horreur à Gruson nous rappelle cruellement que personne n’est à l’abri. Ni dans les grandes villes, ni dans nos campagnes. Et que le sentiment d’insécurité, loin d’être une vue de l’esprit, est devenu, pour trop de Français, une réalité quotidienne.









